Dans le concert des nations, l’Europe est inaudible : elle est incapable de parler d’une seule voix, elle n’est pas écoutée car c’est la cacophonie, et elle n’a pas de politique internationale. L’Europe n’a pas sa place et est méprisée !
J’ai toujours rêvé et plaidé pour une belle et forte Europe unie. Mais c’est avec une infinie tristesse que je dois me rendre à l’évidence, l’Europe est un ventre mou, sans structure et sans squelette, une hydre à plusieurs têtes, une sorte d’organe informe, un punchingball, un zombie…
Manque d’autorité interne
Rien n’illustre mieux ce qui précède que l’humiliation infligée récemment à Ursula Von der Leyden, Présidente de la Commission Européenne, lors d’une visite en Turquie chez l’odieux Erdogan qui n’avait pas prévu de siège pour elle…
La délégation européenne était dirigée par un duo, d’une part Ursula Von der Leyden, présidente de la Commission qui représente l’Union et Charles Michel, président du conseil européen, qui représente la désunion puisqu’il est le porte-parole de chacun des États membres. Or, le président Turc n’avait prévu qu’un siège pour deux ! Au sens propre, comme au sens figuré, l’Europe avait le cul entre deux chaises !
On peut certes blâmer Erdogan, mais on peut aussi faire remarquer cette aberration d’une Europe a deux têtes, c’est-à-dire sans véritable patron. Ainsi tiraillée entre des intérêts divergents, comment l’Europe peut-elle espérer se faire respecter ?
Un éditorialiste du quotidien Suisse Le Temps comparait récemment l’Union Européenne à Gulliver ligoté par des nains : « Ses dizaines de membres l’entravent ; mais en même temps ils la constituent et ils n’ont pas peur du géant ». En effet, chacun des membres, à tour de rôle, nargue Bruxelles et ne tient pas compte des directives contraignantes, « sans vraiment redouter une taloche en retour ». La Slovénie, la Hongrie ou la Pologne, auxquels l’Europe a tout donné et s’apprête à donner encore plus, ne respectent même pas la main qui les nourrit ! Littéralement, ils ligotent l’Europe, condamnée à l’impuissance du fait de ses traités.
Apprendre le langage de la puissance
Sans pouvoir fort et autonome, l’Europe restera faible et méprisée. Quelques voix plaident pour une Europe plus soudée et plus forte, tel Emmanuel Macron qui rêve, à juste titre, d’une Europe souveraine. De son côté, Joseph Borrell, patron de la politique extérieure de l’Union, mesure l’ampleur de son impuissance et plaide inlassablement pour qu’elle apprenne « le langage de la puissance ».
En attendant des jours meilleurs qui tardent à venir, « L’Union est un paillasson sur lequel on s’essuie les pieds » pour reprendre une phrase choc d’un journaliste étranger. Ce même journaliste fait aussi remarquer que Joe Biden prend la décision de retirer ses troupes d’Afghanistan, sans même en informer les Européens qui ont encore des soldats sur place !
L’Union Européenne ne se fait respecter ni par ses amis, ni par ses adversaires politiques. Elle est incapable de prendre une décision seule, pour faire face à l’hégémonie de la Russie ou de la Chine. Elle obéit aux ordres de Washington et plie sous les pressions chinoises, dès la moindre remontrance. Elle est même incapable de se faire respecter par la Turquie qui fait sa loi en Méditérranée orientale, en Lybie et au proche Orient.
La même Union se montre incapable de contrôler, collectivement, une immigration massive en provenance d’Afrique. Pourtant, la seule Hongrie y parvient individuellement, mais se fait réprimander par les autres membres, impuissants eux-mêmes à faire respecter leurs propres frontières. À elle seule, cette immigration sauvage est de nature à faire sombrer l’Union !
Le doute des démocraties libérales
Face à l’arrogance et aux succès des régimes autoritaires, les démocraties libérales doutent maintenant d’elles-mêmes, après avoir été trop sûres d’elles. Elles imaginaient pourtant que le monde entier allait, tôt ou tard, se convertir et suivre leurs voies, érigées en modèles universels …
En 1978, Alexandre Soljenitsyne, rescapé du Goulag et découvrant les vices et les vertus de l’Occident, prononça un discours devenu célèbre à l’Université d’Harvard et qui lui valu beaucoup d’inimitiés en Amérique. Il pointait du doigt les failles d’un Occident bien trop sûr de lui. Mais, il n’a pas été écouté !
Soljenitsyne relevait déjà que le pôle « néo-européen » était progressivement mis sur la touche par un monde environnant qui s’émancipait de sa tutelle et il exprimait son doute sur le fait que les démocraties libérales sortent vainqueurs d’une compétition internationale tous azimuts entre des blocs concurrents.
A ses yeux, les « valeurs » défendues par l’Occident contenaient en germe les éléments de son déclin. Cette quête effrénée du bien être et de l’expansion indéfinie des droits de l’individu mine l’Occident de l’intérieur. Lévinas exprimait cette idée d’une formule : « je n’existe que parce que l’autre existe. J’ai des devoirs envers les autres avant d’avoir des droits ». Ce qui caractérise le plus nos sociétés, trop habituées à la facilité, c’est le manque de courage qui nous condamne, surtout en Europe, à la médiocrité et à l’impuissance.
Soljenitsyne fut même traité de réactionnaire parce qu’il considérait que le déni de l’héritage spirituel de l’Occident était à l’origine de son déclin, cet héritage qui était le ciment qui unissait ses peuples. J’ai souvent affirmé que le refus de l’Union Européenne de se référer à son héritage chrétien la condamnait, dès sa création, à l’échec ! Vous pourrez relire la chronique 867 « L’Europe doit-elle s’unir ou se désunir ? »
Qui peut croire que l’écologie, érigée en religion, ou la laïcité, brandie en étendard, soient de nature à fédérer les peuples ? Il nous manque un levain pour nous élever, il nous manque un projet qui dépasse nos préoccupations matérielles et nous sorte de notre individualisme mortifère, il nous manque la fierté et l’espoir… Je rejoins le philosophe Michael Sandel lorsqu’il affirme que, dans une démocratie authentique, le bien de chacun doit passer par l’idée du bien commun …
Le virus peut-il sauver l’Europe ?
Lors de la pandémie en cours, l’Europe a commencé à exister autrement que par des contraintes bureaucratiques. Bien que la santé soit du ressort des États, la Commission est intervenue pour planifier, en évitant le pire, et négocier les vaccins en évitant une foire d’empoigne au niveau des États.
C’est surtout le plan collectif de relance qui, pour la première fois, ouvre la voie à un emprunt européen, garanti par l’ensemble des États membres. Des moyens considérables sont mis à disposition des nations pour des investissements stratégiques supervisés par la Banque Centrale.
Il n’est pas exagéré de dire que l’avenir de l’Union Européenne, à moyen terme, dépend étroitement du succès de ces plans d’investissement, c’est-à-dire du choix des domaines d’intervention, du suivi des financements, des contrôles efficaces afin d’éviter les gaspillages ou l’utilisation abusive des fonds pour des motifs démagogiques ou pour améliorer le train de l’État.
La prise de conscience de la trop grande dépendance à l’Amérique ou à la Chine est un facteur favorable qui nous apprend, un peu plus chaque jour, à nous familiariser avec le langage de la puissance. Le chemin est encore long, mais si l’Europe retrouve un peu d’hégémonie, elle pourra à nouveau rayonner sa culture et ses valeurs démocratiques. La démocratie sera désirable si les pays qui la portent sont suffisamment puissants.
L’Europe n’a pas assez de projets ambitieux, elle est prise en tenaille par les exigences contradictoires des puissances hégémoniques. Elle aurait doublement tort de céder aux pressions américaines ou au chantage chinois. Elle doit avoir sa propre place, c’est-à-dire sa propre politique indépendante et forte. Sinon elle poursuivra sa décadence… Les deux années qui viennent vont être prépondérantes.
Une” UE plus soudée et plus forte” ne peut exister qu’à condition de jeter les nations européennes avec l’eau du bain . C’est le vœu de Macron qui s’y emploie avec opiniatreté mais PAS LE MIEN .