L’Union Européenne est au milieu du gué. Elle va devoir parfaire son intégration, sinon elle va se disloquer, prise en tenaille par les acteurs hégémoniques d’un monde bipolaire. La sortie des Iles Britanniques lève un frein qui doit permettre d’aller de l’avant.
Ceux qui me lisent régulièrement connaissent mon engagement européen qui m’apparait comme une nécessité impérieuse. Mais le projet européen ne peut être réduit à une zone de libre échange et à la liberté de circuler des biens et des personnes. Le poids de l’Europe ne compte que si le projet est politique.
Nous sommes à la croisée des chemins et cet entre-deux n’est plus tenable. Il va falloir choisir entre plus d’intégration pour atteindre la taille critique ou bien le renoncement frileux, puis le délitement et enfin la mise sous tutelle.
Le piège d’un monde bipolaire
Tout est déjà en place pour un affrontement tout-azimut entre les deux superpuissances. Si l’Europe est forte, c’est-à-dire unie, et totalement intégrée, elle peut marquer son territoire et exister par elle-même.
Cela suppose, bien entendu, une Europe Fédérale avec un gouvernement supranational et une force armée autonome, condition sine qua non pour se faire entendre et faire contrepoids aux deux hégémonies, sans avoir besoin de prendre parti pour l’une ou pour l’autre. Un monde équilibré nécessite une Europe intégrée et puissante, pouvant faire alliance avec la Russie qui partage le même continent.
On sent bien où nous mène la tendance actuelle, vers un partage du monde en deux blocs antagonistes. De gré ou de force, il nous faudra adhérer à l’un ou à l’autre, soumis à tous les chantages, comme nous le voyons déjà à propos du rôle de l’entreprise chinoise Huawei : suivant notre choix, l’un ou l’autre camp nous menace de représailles ! Seule une Europe forte peut choisir librement, sinon nos choix nous seront imposés par le maître chanteur le plus cynique…
Il est évident que seule une Europe intégrée, troisième force, puissante et respectée, peut protéger les peuples d’une véritable colonisation, soit par les États-Unis, soit par la Chine. Nous verrons comment la Grande-Bretagne, désormais livrée à elle-même, se sortira seule de ce dilemme mortel… Elle n’aura sans doute pas d’autres choix que de s’aligner sur les États-Unis et de se soumettre. A moins qu’elle ne choisisse finalement un alignement sur l’Europe… à condition que celle-ci parvienne à émerger.

Le défouloir européen
Trop de gouvernements européens sous-estiment l’apport de l’Union Européenne sur leur destin. Ils se plaignent de la bureaucratie Bruxelloise et prétendent que le Parlement Européen est responsable de leurs difficultés, alors qu’ils ne parviennent pas à se réformer eux-mêmes.
Naturellement, les démagogues de tout poil attisent la méfiance des institutions européennes et prônent un repli nationaliste mortifère. Ils continuent de penser comme dans les siècles précédents lorsque les nations européennes ont, à tour de rôle, dominé le monde ! Mais le XXIème siècle est un autre monde qui a vu l’émergence de nouvelles puissances dominantes.
Il est vrai qu’il manque des règles claires qui définissent les prérogatives des nations et celles d’un vrai gouvernement central. Actuellement les règles européennes se surajoutent aux règles nationales mais ne les remplacent pas toujours, ce qui exaspèrent les citoyens. En effet, les nations ne délèguent pas facilement leurs prérogatives ! D’autant que certains politiciens maintiennent cette fiction que l’indépendance nationale donnerait un surcroît de prospérité et de liberté…
Dans les faits, toutes les lacunes actuelles de l’Union Européenne proviennent d’un manque de leadership et d’autorité de sa part. Il manque cruellement un vrai gouvernement européen, autonome et responsable devant les peuples, pour fixer des directions claires, dynamiser l’Union et se faire respecter à l’étranger. On ne peut reprocher l’indécision et le flou de l’Europe sans lui donner les moyens de parler d’une seule voix.
Le leadership Allemand
L’Allemagne, étant le pays le plus peuplé, le plus dynamique industriellement, le plus riche et le moins endetté, a naturellement vocation à donner l’impulsion pour réaliser une Europe fédérale et pour lui redonner une ambition forte. (Relire Chronique 466 « Angela Impératrice ».
Mais l’Allemagne reste écrasée par le poids de l’histoire et n’ose pas prendre sa place. Elle préfère se cacher derrière la politique américaine et s’abriter derrière sa puissance militaire. Elle a donc de la difficulté à penser la politique européenne car elle sait bien qu’elle devrait en prendre la tête. C’est ainsi que l’Europe demeure orpheline, sans parents pour lui donner de l’ambition.
Et pourtant, le départ des Britanniques offre à l’Europe une opportunité exceptionnelle pour relancer la dynamique communautaire. La mutualisation de la dette, qui va naitre du gigantesque plan de relance pour sortir l’Europe de l’ornière de la pandémie, est un premier pas qu’a pu faire l’Allemagne, sous l’impulsion de la pragmatique Angela Merkel, adepte de la realpolitik. Il n’y a pas de grands projets sans un moteur puissant !
L’Allemagne doit en profiter pour appuyer de tout son poids afin que ces sommes soient investies dans des projets rentables de modernisation et d’industrialisation. Elle a suffisamment d’influence sur la commission européenne pour que celle-ci surveille les pays qui peuvent être tentés d’utiliser cet argent de façon électoraliste à courte vue, c’est-à-dire en le distribuant sous forme d’aide aux populations.
Le doute démocratique
Ce n’est un secret pour personne, la démocratie parlementaire est en crise et je m’en suis souvent fait l’écho dans mes chroniques, comme une rengaine obsessionnelle, y compris dans ma dernière chronique, intitulée : « La démocratie conduit-elle au chaos ? »
Les démocraties représentatives ont moins bien géré la pandémie que les régimes autoritaires, ce qui jette le doute sur leur efficacité et leur capacité à conduire le navire par temps de tempête ! L’impréparation et la pagaille ont prévalu dans de nombreux pays européens qui se prétendent modernes avec le « meilleur système de santé du monde » ! Nous avons senti plus d’arrogance que de compétence…
Les démocraties molles qui prévalent aujourd’hui pratiquent davantage la démagogie que le leadership, d’où il résulte un état de contestation permanent et stérile qui ruine l’autorité et génère un sentiment d’insécurité. Les citoyens ne se sentent pas protégés par des gouvernements indécis, qui naviguent avec la boussole des sondages d’opinion ! De la même façon que les enfants ne se sentent pas protégés par des parents qui manquent de fermeté…
Les démagogues remplacent la fermeté sécurisante par le mensonge. Ils ne dirigent pas, ils manipulent. Ils ne prennent pas de décisions fermes, ils culpabilisent ceux qui ne suivent pas la pensée unique. Finalement, ils mécontentent tout le monde ! Ce sont ces démocraties molles qui ont généré le doute démocratique, ce cancer qui mine l’autorité. Le degré d’abstention dans les élections, et qui ne cesse d’augmenter dans de nombreux pays, donne la mesure de ce doute…
Il y a quelques mois, devant une délégation de journalistes, la chancelière Allemande, sans doute plus clairvoyante que ses collègues européens, faisait part de ses propres doutes : « Jusqu’à présent, nous n’avons pas su apporter la preuve à 100% que le modèle libéral démocratique est en train de s’imposer, cela m’inquiète ».
La fierté retrouvée
Il nous manque un leadership européen capable de tracer un itinéraire, de montrer des perspectives, de fixer des buts, de programmer des étapes. Nous avons besoin de savoir où nous conduit l’Union Européenne, nous avons besoin d’un destin commun, en bref, l’Europe a besoin d’un avenir pour retrouver sa fierté.
Il n’y a pas assez d’ambition européenne car il n’y a pas assez de leaders pour nous l’insuffler. Ernest Renan caractérisait la nation comme étant le lieu dans lequel les citoyens ont le sentiment d’avoir fait de grandes choses ensemble et de vouloir encore en réaliser davantage. L’Europe a hérité d’une grande culture qui a façonné le monde moderne, nous pouvons en être fiers et se servir de cet acquis pour bâtir de nouvelles ambitions.
Mais, il faut cesser de se battre la coulpe et de s’auto-flageller en permanence. Aucune civilisation n’a été parfaite, aucun être humain n’a pas de face sombre ! Cette nouvelle idéologie mortifère qui voudrait que l’homme blanc plaide sans cesse coupable pour ce qu’auraient fait, n’auraient pas assez fait ou auraient dû faire ses aïeux, tient d’un masochisme destructeur qu’il faut condamner.
Nous devons non seulement nous éloigner de ces discours pervers, mais aussi les condamner avec la plus grande fermeté. Ils sont le fruit d’intellectuels hors-sols et mal dans leur peau qui radotent le passé et veulent polluer le monde avec des théories mortifères et destructrices. Les nations européennes peuvent relever la tête et être fières de l’essentiel de ce qu’elles ont fait !
C’est ce qui reste à accomplir, nos projets communs et les défis qui sont devant nous qui renforceront notre fierté… La fierté de notre destin européen ne gomme pas nos fiertés nationales ou régionales traditionnelles…
Nous pouvons, bien entendu, envisager un retour aux monnaies et nations de jadis, un chacun pour soi. Nous pouvons prendre le risque de nouveaux affrontements. Nous pouvons accepter d’être mis en dépendance et assujettis à une superpuissante dominante dont nous serions les vassaux. Dans ce schéma nous pouvons aussi y trouver notre bonheur… Mais ce que nous ne pouvons pas faire, c’est rester au milieu du gué, nous devons soit avancer, soit reculer, sinon nous serons emmenés par les flots à la prochaine crue… Une maison inachevée est toujours emportée par les bourrasques !
Un commentaire