985 – PSYCHOPATHOLOGIE DES FOULES

S’il est vrai que l’union fait la force, il ne faut pas perdre notre identité et savoir pour quelle cause on agit. Les humains, en groupe, ont facilement tendance à perdre leur autonomie de jugement et peuvent commettre des actes irréfléchis. Les foules qui suivent des mots d’ordre relèvent souvent de la psychopathologie…

Le mouton et le renard

Ce matin de juin, un vol d’étourneaux s’est abattu en piaillant sur notre cerisier et ne nous a rien laissé… Il est reparti comme un nuage de sauterelles et a fait quelques arabesques dans le ciel avant de disparaitre chez le voisin. Je me suis toujours demandé qui dirigeait le vol coordonné de plusieurs centaines d’oiseaux qui font des volutes et des enroulements, comme s’il s’agissait d’une seule entité autonome.

Il en est de même des bancs de poissons qui non seulement vivent en groupe, mais encore semblent naviguer guidés par de mystérieuses instructions. Ils font des ballets synchronisés et tous ensemble changent de direction en une fraction de seconde, comme sous les ordres d’un chef d’orchestre.

Beaucoup d’animaux sont grégaires et semblent manquer d’individualité et d’autonomie personnelles. Ils semblent dotés d’une intelligence de groupe et seuls ils sont démunis. Dans la nature, ils suivent un instinct fondamental qui délègue leur pouvoir de décision au groupe. Mais, dans des conditions plus artificielles, ils peuvent être régis et guidés par la peur, comme on peut le voir avec un troupeau de mouton dirigé par un chien de berger.

Le troupeau de moutons est capable de se diriger vers le précipice en suivant le mouton de tête qui agit en leader. C’est pourquoi les moutons symbolisent la bêtise aveugle. D’une façon plus générale, les animaux qui vivent en hordes paraissent assez dénués d’intelligence. Ils ne sont pas très originaux et suivent le groupe, sans être capables de suivre un autre chemin, sans capacité d’innover.

En dehors des étourneaux et des moutons, pensez aux hordes de sangliers, aux gnous, aux oies sauvages, aux pingouins, ou aux fourmis, ces animaux qui vivent en communauté manquent de singularité et de finesse si on les compare aux animaux solitaires qui doivent se débrouiller seuls face aux difficultés de la vie dans la nature. Les fourmis sont certes industrieuses mais elles suivent un plan préétabli et, ce qui étonne, c’est la force et l’intelligence du groupe ! Au contraire, la fourmi isolée est démunie.

L’animal solitaire, qui étonne par son intelligence, c’est le renard. Le chasseur solitaire a besoin d’être malin pour survivre. Il doit observer sa proie et saisir le bon moment pour intervenir, il doit se cacher et se méfier des prédateurs dont l’homme est le prototype le plus cruel.

Le corbeau, dont l’intelligence est légendaire, n’aime pas beaucoup le groupe. Il est d’une grande perspicacité pour trouver des solutions nouvelles. C’est ainsi qu’il casse les noix en les laissant tomber de haut sur la chaussée goudronnée. Le solitaire, par définition, doit se débrouiller seul et il doit trouver des solutions face à des situations inhabituelles. Au contraire, l’animal grégaire suit le mouvement sans se poser de questions ! Comparez le mouton et le renard…

Quand la foule devient masse compacte

Il est un animal auquel vous avez déjà pensé et qui aime vivre en communauté mais qui peut aussi devenir grégaire et aussi bête qu’un mouton. On peut même dire que c’est un des plus grands dangers de l’espèce humaine que de suivre aveuglément le troupeau. Comme pour les autres espèces animales, l’effet de groupe semble leur enlever le bon sens et leur capacité de jugement. Ils sont alors enclins à suivre le mouvement, sans se poser de question, pour le meilleur mais plus souvent pour le pire.

Observer une foule nonchalante et débonnaire qui déambule tranquillement dans les rues sous le soleil de printemps. Chacun suit son chemin en toute liberté, la foule qui déambule est souple et fluide. Elle est composée d’individus uniques et chacun suit son propre destin de façon indépendante.

Une foule dans un cortège, qui hurle des slogans, a perdu toute individualité et tout esprit critique. Cette foule devient moutonnière et les leaders lui feront crier n’importe quel slogan qu’elle reprendra en chœur. Cette foule hystérique n’est plus fluide, elle a coagulé, elle est compacte, prise en masse et manipulable. Tout se passe comme si les individus qui composent cette foule avaient délégué leur intelligence et leur bon sens au groupe.

C’est cette foule moutonnière qui mène les luttes et fait les révolutions. C’est cette même foule, composée de bons pères de famille, qui se rassemblent autour des terrains de football pour hurler, vociférer, proférer des injures, enivrés par l’ambiance du groupe fanatisé. La foule peut devenir violente, bête et méchante.

Quand la foule se met à marcher au pas cadencé, l’individu se dissous dans le groupe. Elle marche et elle pense à travers le groupe et plus rien ne peut l’arrêter. Quand on marche au pas derrière un leader, on a perdu tout esprit critique, on a perdu son propre jugement et on est prêt à suivre les mots d’ordre.

C’est quand ils marchent au pas, comme un seul homme, que les humains deviennent l’espèce animale la plus dangereuse et la plus cruelle. Ce fut l’origine de toutes les guerres, lorsque plus personne ne pense par lui-même et avance au pas cadencé. Tout devient alors possible et on dit que l’on peut agir de « façon inhumaine ». Mais, en fait, la cruauté organisée et planifiée est spécifiquement humaine. Les animaux qui vivent en groupe compact ne font que suivre leur destin programmé, ils peuvent tuer pour se nourrir, mais jamais par vengeance ou par cruauté.

Le danger survient lorsqu’une foule coagule, lorsque chacun perd sa liberté de penser et qu’elle ne devient plus qu’une seule entité, comme un vol d’étourneaux. Personne n’est plus capable de penser par soi-même, mais seulement de réciter des slogans et de suivre des mots d’ordre. Il suffit d’un leader qui pense pour elle et la met en route… Ce sont toujours les foules qui commettent les pires atrocités, au nom de je ne sais quel slogan. De Hitler à Pol-Pot et à beaucoup d’autres, c’est toujours le même processus, une foule décérébrée qui suit aveuglément un leader ivre de pouvoir.

Ce sont souvent de bons pères de famille qui commettent les pires crimes. Individuellement ils peuvent être intelligents, raffinés, affectueux, mais ils ont perdu leur identité sous l’effet du groupe fanatisé. Seuls les groupes peuvent être fanatisés car un individu autonome garde mieux son bon sens.

C’est la raison pour laquelle je fuis les groupes qui hurlent des slogans car je veux garder mon libre-arbitre. Je ne veux pas être fanatisé et j’entends continuer à penser par moi-même. Je m’éloigne des grandes manifestations politiques, syndicales ou sportives qui drainent des foules compactes, toujours bêtes et méchantes.

Je suis la trace du renard. Il observe, il mène sa vie au mieux qu’il peut et il fuit les grands rassemblements. Il a peur des humains car il sait qu’ils font partie de l’espèce animale la plus bête et la plus cruelle…

Nous aimons vivre en communauté, mais nous devons nous méfier de l’effet de groupe qui peut avoir de graves répercussions psychopathologiques dès lors que nous perdons notre individualité. La communauté suppose l’entraide entre individus autonomes et responsables, le groupe suppose la compétition, la lutte, l’affrontement et mène à la perte de notre identité au profit de slogans mobilisateurs qui nous empêchent de penser par nous-mêmes. Restons des renards !

PS. J’ai déjà écrit une chronique sur le sujet. Vous pouvez relire la chronique 47 “Quand la foule devient troupea.u”

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Un commentaire

  1. Sagement dit ; mais qu’en sera-t’il si l’intelligence artificielle prospère et s’empare de nous ?

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