685 – L’HISTOIRE SUIT-ELLE UNE DIRECTION ?

Lorsque l’on observe les évènements qui secouent le monde et que l’on voit les hommes se débattre dans leurs contradictions, au niveau individuel et collectif, cela donne l’impression de chaos. Il semblerait que l’histoire de l’humanité n’a pas de sens, qu’elle n’évolue pas, qu’elle tourne en rond et que finalement les grands problèmes, qui jadis secouèrent les humains, sont toujours là. On peut être tenté de comparer le destin de l’humanité à celui de Sisyphe, roulant son rocher pour gravir la montagne, mais qui retombe sans cesse.

Prendre du recul

 J’assistais hier à une exposition des meilleurs peintres impressionnistes. Les salles étant exigües, pressé par la foule, il m’est arrivé d’avoir le nez collé à certains tableaux. Je ne voyais que des amas grossiers de couleurs, sans distinguer ce qu’ils représentaient et paraissant posés là, de façon incohérente. Ainsi, le « champ de coquelicot près de Vétheuil » de Claude Monet me faisait mal aux yeux, sans que je puisse avoir une vision d’ensemble.

C’est donc à cet instant que j’ai compris que, pour discerner une éventuelle direction à l’Histoire, il fallait aussi prendre du recul. Ne pas contempler l’Histoire à l’échelle de quelques générations, mais à l’échelle de plusieurs millénaires. Pour saisir l’évolution de l’histoire humaine, il convient sans doute d’embrasser la totalité de l’histoire d’Homo sapiens.

En marche vers la globalisation

Au début, le monde était morcelé, les peuples étaient éparpillés à la surface du globe, disséminés en milliers de tribus étrangères les unes aux autres. Chaque vallée, chaque repli, chaque recoin du vaste monde pouvaient être peuplés de petits groupes de quelques familles, ayant ses habitudes propres, ses façons de chasser, ses croyances, ses valeurs, sa langue, bref, chaque tribu avait sa culture spécifique et généralement ignorait les autres, parfois même se croyait seule au monde.

Les choses auraient pu en rester là jusqu’à la fin des temps, comme c’est le cas pour les sociétés animales. Mais vous savez que des tribus se sont regroupées, que les structures sociales devinrent plus complexes au fur et à mesure que les communautés devinrent plus nombreuses. Les peuples se constituèrent et commencèrent à échanger les uns avec les autres. Le « progrès » était en route, plus rien ne devait l’arrêter ! Nous pouvons légitimement nous poser la question suivante : pourquoi les sociétés humaines ont-elles évolué au point d’arriver aujourd’hui à ce que nous appelons « la globalisation » ?

Dissonance cognitive

 Vous trouverez la réponse à cette question dans l’excellent ouvrage de l’historien israélien Yuval Noah Harari et intitulé : « Sapiens, une brève histoire de l’humanité ». C’est une vaste fresque dont je vous recommande vivement la lecture car elle a le mérite rare de vivifier l’esprit.

 Selon Harari, ce sont les contradictions inhérentes aux sociétés humaines qui leur ont permis de se transformer. Contradiction des religions, par exemple, qui prônent l’humilité et l’amour du prochain mais qui portent le glaive pour pourchasser les infidèles. Contradiction aussi des sociétés démocratiques qui prétendent atteindre deux buts inconciliables, la liberté et l’égalité, ces deux valeurs s’excluant mutuellement.

De telles contradictions se retrouvent dans toutes les sociétés humaines et constituent des « dissonances cognitives » qui sont le moteur des transformations. Elles apportent des tensions, des conflits et des dilemmes qui dynamisent les cultures.

C’est ainsi que l’homme est parti à la conquête du monde, qu’il a rencontré ses semblables contre lesquels il a combattu et avec lesquels il s’est associé. Chaque nouvelle technique a pu circuler et diffuser progressivement entre les peuples. Ce mouvement était lent à ses débuts, mais il s’est accéléré au cours des siècles, au fur et à mesure que les nations se constituaient. Des peuples conquérants ont constitué des empires immenses qui apportaient plus d’homogénéité.

Les moyens de locomotion s’améliorant, le monde se rétrécissait et chaque groupe humain était moins isolé. Il apparaît clairement que cet immense mouvement de regroupement des cultures, de partages et d’échanges allait dans une direction. L’histoire semble en effet avoir un sens qui serait celui de l’unité, d’un monde plus global, d’une culture plus universelle. Qui peut douter aujourd’hui de l’unité du monde des humains confrontés à des défis planétaires dans de nombreux domaines, à commencer par le changement climatique ? Plus personne ne peut être indifférent à ce qui se passe à l’autre bout du monde.

Les reflux de l’Histoire

Ce chemin vers l’unité du monde, vers un ordre humain global, ne se fait pas sans un flux et un reflux, comme le mouvement des marées. La marche vers un ordre mondial n’est pas linéaire, elle recule parfois pendant des centaines d’années. Par exemple, la première tentative pour une unité européenne date de l’empire romain qui imposa son ordre sur le continent pendant des siècles, jusqu’à sa chute, suivie de la dislocation complète de l’empire. Des milliers de petits roitelets surgirent d’un bout à l’autre de l’empire pour remplacer l’empereur.

Il fallu attendre Charlemagne pour qu’une nouvelle tentative se mette en place avec un succès provisoire. Mais si l’unité politique de l’Europe ne survit pas longtemps à l’empereur, demeura l’unité religieuse avec la domination de la religion catholique durant tout le Moyen-Age.

A la Renaissance, le projet de domination de l’Europe occupa l’esprit de certains souverains tels François 1er ou Charles Quint, mais nul n’y parvint. Napoléon s’y essaya et en rêva, mais nous savons comment il échoua en se perdant dans les steppes Russes.

Après deux mille ans de tentatives qui ont utilisé la coercition, l’Europe tente un nouvel essai avec l’aval des peuples. Il s’agit sans doute de l’essai de la dernière chance face aux blocs qui se sont déjà constitués, sauf à accepter le déclin. Une nouvelle fois l’Europe est en route vers l’unité, mais il est vraisemblable que l’histoire aura de nouveaux soubresauts et de nouveaux doutes sur la direction qu’elle prend…

Les carrefours de l’histoire

Nous allons vers une sorte de gouvernance mondiale, d’homogénéisation des peuples et des cultures, de métissage des valeurs. Il n’est pas sûr que cette course vers l’unification soit bénéfique pour l’espèce humaine. Le cours de l’histoire ne garantit pas le bonheur des peuples. Nous avons déjà réfléchi sur ce thème dans la chronique 678 « La lubie égalitariste » qui conduit à la pensée unique.

Cette marche vers la globalisation ne signifie pas que l’histoire est écrite d’avance et que les évènements qui l’émaillent soient inéluctables. Chaque jour, l’histoire balbutie et hésite, mille directions s’offrent à elle, il n’y a pas de déterminisme, comme dans la vie de chacun. Vous connaissez le jeu des « si ». « Si ne n’avais pas pris ce train là, mais le suivant, je n’aurais jamais rencontré celle qui a changé ma vie. »

Si l’empereur Constantin n’avait pas choisi le christianisme comme religion d’Etat, la face du monde en aurait été totalement changée. Chaque moment de l’histoire est un carrefour. Nul ne sait le chemin qui sera emprunté. Personne ne peut prévoir où et quand se situera la prochaine révolution, pas plus que l’on ne sait quand se formera le prochain cyclone. Trop de paramètres s’entrecroisent et interagissent. L’histoire est ouverte et se vit en live, dans une improvisation permanente. Nous savons seulement que cette évolution ne garantit pas notre bien-être futur !

Il ne fait donc pas de doute que l’Histoire suit une direction qui est celle de l’unité et de la globalisation. Ce mouvement est en marche depuis qu’Homo sapiens a quitté les rives des lacs Africains. Mais cette marche en avant fut entrecoupée de nombreux replis stratégiques qui rendent sa lecture plus difficile en laissant croire, parfois, que l’humanité n’évolue pas et que l’histoire ne fait que se répéter. Quoiqu’il en soit, nous ne savons rien des soubresauts à venir… nous ne savons même pas si le chemin vers l’unité ira jusqu’à son terme ! Il se peut que le « un » qui gomme toutes les dualités et les différences soit finalement mortifère… ( relire la chronique 658 “Métissage dans le meilleur des mondes“)

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