725 – LES INEGALITES FONDAMENTALES

J’ai appris que la vie humaine constitue une valeur sacrée. Mais, je constate avec effroi une hiérarchie implacable de maitres et d’esclaves, d’échec et mat… L’homme est le meilleur ennemi de l’homme: “mort aux vaincus”.

Je ne parle pas ici des différences de statut social ou de salaires qui subsistent un peu partout. Mais je pense aux profondes inégalités entre les valeurs de la vie de certains, par rapport à d’autres. Il existe comme des degrés dans le droit à l’humanité. Il existe des individus dont les existences et les statuts sont dévalorisés de façon fondamentale, au cœur même de leur être. Tout semble se passer comme si certains êtres humains n’avaient droit qu’à un statut de sous-hommes ?

Les parias

Dès notre naissance, nous sommes déjà étiquetés et nous endossons des habits de bourgeois ou des haillons. Le milieu et l’environnement de notre naissance sont déterminants pour savoir si nous aurons droit à un statut d’Être humain à part entière, libre et responsable, ou bien si nous devrons nous contenter d’une vie de paria, exclu, méprisé, exploité ou martyrisé.

Il suffit de se promener dans les rues de Calcutta ou de Bamako et même de Paris, pour mesurer l’ampleur de la misère et de la détresse humaine. On finit par ne plus voir le mendiant lépreux, agenouillé parmi les détritus, dans l’attente d’un morceau de pain.

Cette détresse nous est insoutenable et nous détournons notre regard. Ces êtres n’existent même plus à nos yeux, nous les ignorons. Nous leur refusons de croiser nos regards, c’est-à-dire que nous refusons sciemment de leur accorder la moindre importance. Ils n’ont pas le droit d’être reconnus comme des humains à part entière, comme s’ils n’en étaient pas dignes !

Les individus de seconde zone

Les jeunes qui quittent les trottoirs de Bamako ou de Tripoli pour affronter les risques et les difficultés d’une aventure incertaine, et à haut risque, savent-ils que la pire des épreuves sera notre indifférence et notre mépris ?

Au plus fort de la crise des réfugiés en Europe, les autorités hongroises parquaient les immigrés derrière des barbelés et leur jetaient des sacs de nourriture par-dessus la clôture, comme on le ferait avec des bêtes sauvages. Ces familles étaient dépossédées de leur pays d’origine et indésirables dans leur pays d’accueil.

Je ne suis pas naïf, et je ne plaide pas pour une ouverture inconsidérée des frontières. L’Europe ne peut accueillir les dizaines de millions d’êtres humains qui rêvent de l’atteindre. Je suis seulement extrêmement choqué de voir errer dans les rues des villes européennes des milliers d’individus désœuvrés et sans ressource, de voir des camps de regroupement où on laisse croupir des familles entières, et d’entendre des insultes à leur rencontre.

Si les immigrés clandestins étaient considérés comme des humains à part entière par les pays européens, on oserait leur parler d’homme à homme, les yeux dans les yeux. On aurait le courage de les accepter dignement ou de les renvoyer fermement dans leur pays d’origine.

La politique la plus fréquente consiste à ne pas les accepter officiellement, c’est-à-dire de refuser leur entrée, mais sans exiger qu’ils partent. Ainsi, des individus de seconde zone vivent à nos côtés, ils n’ont aucun droit et sont l’objet de tous les abus et humiliation, ou bien ils s’adonnent eux-mêmes, par nécessité, à toute sorte de trafics interdits.

L’histoire de l’humanité nous apprend qu’il existe un grand nombre de stratégies possibles qui permettent de dévaloriser la vie d’autrui. Mais ces inégalités de vie nous sont si proches et si familières que nous les côtoyons sans les voir.

The fire next time

La ségrégation raciale fut déclinée avec acharnement et méthode, sous toutes les latitudes et à toutes les époques. L’esclavage fut ainsi pratiqué pendant fort longtemps, sans la moindre retenue, ni la moindre culpabilité.

Bien longtemps après l’abolition de l’esclavage les Noirs américains furent considérés avec mépris et l’objet de nombreuses vexations. Si vous voulez ressentir l’extrême violence de cette ségrégation, je vous conseille de lire le petit livre de James Baldwin, écrit en 1962 : The fire next time.

Dans « La prochaine fois le feu », il montre comment étaient traités les soldats noirs américains durant la guerre : « Il faut se mettre dans la peau d’un homme qui porte l’uniforme de son pays, est très susceptible de mourir pour sa défense et qui se fait traiter de ‘nigger’ par ses compagnons d’armes ou ses officiers… et qui voit les prisonniers de guerre allemands traités avec plus d’égard que lui-même n’en a jamais reçu ».

Un peu plus loin James Baldwin ajoute : « Les mots manquent presque complètement pour décrire tout ce qu’il y a d’horrible dans la vie du Noir américain… un peuple à qui on a tout pris, y compris, et c’était là le plus essentiel, le sentiment qu’il avait de sa propre dignité ».

Les holocaustes

Le XXème siècle fut émaillé d’holocaustes qui rivalisèrent de cruauté et montrèrent le côté le plus sombre de l’âme humaine, au point que nul n’imaginait qu’elle était capable de ces monstruosités. Nous fûmes stupéfaits du niveau d’horreur que nous étions capables de commettre.

« Pour crime d’hérédité en plein XXème siècle au cœur de l’Europe, place forte du Bon Dieu, des millions d’êtres humains furent envoyés à un martyre si prémédité, si ignoble, si prolongé qu’aucun siècle avant ce siècle des lumières n’avait su en concevoir un semblable », écrit Balwin en évoquant le très « civilisé » et « chrétien » troisième Reich.

Et malgré tout cela, la civilisation occidentale est volontiers donneuse de leçon. Elle se vante de sa démocratie qu’elle cherche à imposer par le feu et le sang. Elle parle avec lyrisme des « droits de l’homme » qu’elle ne respecte jamais. Elle établit un Tribunal Pénal International dont la spécialité consiste à juger et condamner les africains ! Ce qui permet à James Balwin d’écrire : « Pris dans leur ensemble les Blancs n’ont pas de leçons à donner dans l’art de vivre ».

Pour finir, je transcris cette très belle phrase de James Baldwin qui résume tout, sans haine : « Celui-là qui, chaque jour, est obligé d’arracher par fragments sa personnalité, son individualité, aux flammes dévorantes de la cruauté humaine sait, s’il survit à cette épreuve, et même s’il n’y survit pas, quelque chose quant à lui-même et quant à la vie, qu’aucune école sur terre et qu’aucune église non plus ne saurait enseigner ».

Quiconque avilit les autres s’avilit soi-même…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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