748 – ANTIHUMANISME DIGITAL?

Les technologies digitales régissent de plus en plus nos vies. Conduisent-elles à une société déshumanisée et désenchantée ?

Depuis que le monde est monde, chaque nouvelle technique a deux facettes, une claire et une sombre. La maitrise du fer ou du bronze a donné naissance à de nouveaux outils mais aussi à l’épée. 4.000 ans plus tard, la maitrise de l’atome a mené à la bombe atomique, mais aussi à l’énergie nucléaire.

Les nouvelles technologies digitales permettent à chacun de nous d’être au centre d’un réseau planétaire, de communiquer avec chacun et d’avoir à notre disposition toutes les connaissances du monde.

Cette révolution considérable, qui survint au tournant du millénaire, porte aussi en elle un potentiel d’aliénation qui menace chacun d’entre nous.

Il suffit de voir combien nous sommes assujettis à nos téléphones portables et à nos tablettes pour craindre que nous ne sommes plus les maitres de ces nouveaux outils, mais qu’ils nous asservissent.

Il y a quelques années, on pouvait craindre que se creuse un fossé entre ceux qui maitrisent ces technologies numériques et ceux qui n’y parvenaient pas, pour des raisons économiques ou sociologiques. La pénétration planétaire des écrans tactiles nous met face à un nouveau type de danger.

Ecran tactile ou tableau noir ?

Il est légitime de s’interroger sur l’effet de l’usage de ces écrans tactiles sur les jeunes enfants. Je suis personnellement étonné de voir à la fois l’avidité des très jeunes enfants pour les vidéos et leur dextérité, dès le plus jeune âge, pour surfer sur un téléphone portable.

Nous sommes émerveillés par cette fascination, mais aussi inquiets de constater combien les enfants deviennent vite des drogués des écrans et éprouvent de grandes difficultés à s’en séparer. Cette addiction demande une attention des adultes pour en limiter l’usage.

Ce mouvement de défiance vis-à-vis des écrans est curieusement partie de la Silicon Valley, au cœur des nouvelles technologies digitales, comme si les inventeurs avaient peur d’être dépassés par leurs inventions !

Les écoles reviennent au tableau noir et au papier crayon. Elles axent désormais leur enseignement sur la créativité et les activités pratiques qui stimulent la dextérité manuelle. Désormais, on apprend même le tricot aux enfants !

En 2011, un journaliste avait demandé à Steve Job si ses enfants utilisaient le nouvel iPad. Il avait répondu : « Ils ne l’ont pas utilisé, nous limitons la technologie à la maison ». Selon Bill Gates, ses trois enfants n’ont eu droit à un téléphone portable qu’à l’âge de 14 ans !

Nombreux sont ceux qui affirment que les écrans entravent la pensée créative, l’activité physique, la capacité d’échange et le pouvoir de concentration.

Selon Chris Anderson, l’ancien rédacteur en chef du magazine Wired, « la nouvelle fracture se situera au niveau des limitations imposées à cet accès ». Ce qui revient à dire qu’il existera une classe privilégiée qui conservera sa liberté d’esprit et une classe aliénée aux nouvelles technologies, esclave de son addiction.

Le prix de la servitude

Chacun s’interroge sur la nécessité, ou non, d’introduire le numérique à l’école. Le débat est vif et l’on pourrait croire qu’il s’agit d’une nouvelle guerre entre les anciens et les modernes, entre les réactionnaires et les progressistes.

En fait, les lignes de clivage ne sont pas nettes et il se pourrait que la modernité se trouve du côté du crayon et du papier !

L’univers numérique est ludique et semble gratuit. D’un clic, l’on a accès au meilleur des mondes et l’émerveillement est constant. On peut penser que nos enfants apprendront mieux, avec le plaisir en plus, grâce à des livres qui parlent et avec des images qui bougent.

Faut-il remplacer les livres trop longs et difficiles à lire, par des articles courts, faciles à comprendre ? Faut-il continuer d’enseigner l’orthographe alors que les correcteurs automatiques font très bien l’affaire ? Faut-il remplacer la pratique rigoureuse de l’analyse et de la synthèse par des exercices ludiques qui consistent à naviguer sur Google pour y glaner des fragments d’une connaissance émiettée?

Tout cela a aussi un prix, celui du dernier iPad, de l’imprimante qui va avec, de la connexion à une ligne téléphonique, de l’installation Wifi etc… C’est le prix à payer pour cette « servitude volontaire » qui nous met sous la dépendance des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Il y a longtemps que le maître et la maitresse ne sont plus au centre de la classe, mais on peut se demander s’il faut qu’ils ne soient plus que des surveillants de discipline et des animateurs d’activités ludiques.

Les choix qui seront faits vont déterminer le monde de demain. Voulons-nous des citoyens sages et disciplinés, des consommateurs fidèles et résignés, bien formatés, ou bien des sujets créatifs, imaginatifs et turbulents ?

Technologies de la perfection

L’enjeu du siècle reste à venir, il s’agit des prouesses de l’intelligence artificielle qui peuvent constituer un élixir amer en supplantant l’intelligence humaine.

Eric Sadin, auteur d’un essai intitulé « L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle », affirme que ces programmes « sont comme inéluctablement voués à prendre la forme de technologies de la perfection et à imposer avec toujours plus de fermeté leur autorité… on verra l’intelligence artificielle marginaliser l’intuition humaine, rendant vaine ou inopérante toute prise de décision dépendant de notre propre conscience ».

Cette mutation silencieuse est vertigineuse car elle façonne durablement notre manière d’être au monde. On nous promet des processus automatiques de décision, imposés par des mécanismes rigides, rationnels et froids. (Lire aussi chronique 655 « L’angoisse digitale »).

La numérisation et la robotisation constituent de formidables atouts pour l’avenir de l’humanité, mais recèlent aussi les pires dangers d’aliénation et de déshumanisation. Le futur est ouvert et demeure toujours à réinventer… Si nous savons y prendre garde, le pire n’est jamais sûr…

 Pour en savoir plus, vous pouvez relire la chronique 691 « La guerre technologique ».

 

 

 

 

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