839 – ANTICIPER LA DÉCROISSANCE

L’année 2020 marquera sans doute un tournant dans l’histoire de l’humanité. L’apparition d’un virus inopiné nous offre l’opportunité inespérée d’organiser une décroissance devenue inéluctable…

La survenue soudaine de la pandémie planétaire fut souvent vécue comme un cataclysme épouvantable. Mais il se peut qu’elle apparaisse finalement, avec un peu de recul, comme un bienfait. Elle nous aura aider à changer, à la fois, certaines de nos habitudes et de nos façons de penser !

Aucune démocratie n’aurait été capable de prévoir, ni même d’envisager, la décroissance. Toute la pensée économique classique était incapable d’envisager autre chose que la croissance car le modèle actuel fonctionne grâce à la croissance, de la même manière qu’un cycliste se trouve dans l’obligation d’avancer pour ne pas tomber… (Relire chronique 497 La croissance est-elle un mythe ?)

L’extraordinaire pouvoir de la synchronicité

J’ai toujours été fasciné par la conjonction des évènements qui se rencontrent à point nommé, comme par « hasard », mais qui font sens et se conjuguent pour forcer le destin. C’est ainsi que le virus a, en quelque sorte, programmé la décroissance que nous n’osions pas aborder.

Il y a peu, parler de décroissance était réservé à un cercle restreint d’idéologues écologiques, amoureux des spéculations utopiques. Nous étions tous bercés par la douce illusion d’une croissance infinie, croyance dont nous avions hérité de nos parents et grands-parents. C’était le paradigme sur lequel était basée la pensée occidentale depuis l’aube des temps : toujours plus !

Il y avait bien le sympathique Pierre Rabi qui préconise depuis longtemps « la sobriété heureuse » et qui expérimentait lui-même un « vivre mieux, sans croissance ». On aimait bien l’entendre, il savait nous faire rêver le temps d’une émission, puis l’on retournait, imperturbablement, à nos petites affaires… (Relire chronique 429 La sobriété heureuse)

Quelque part, dans un coin de notre cerveau, nous savions qu’il avait raison, mais nous n’avions pas envie de changer nos habitudes, nous pensions que notre façon de vivre n’était pas négociable ! Nous étions tous écologistes, mais uniquement dans les domaines qui nous arrangeaient. Celui qui n’avait pas besoin de voiture fulminait contre les automobilistes pollueurs, celui qui n’aimait pas voyager critiquait ceux qui aimaient prendre l’avion, etc, et chacun se donnait bonne conscience à moindre frais, mais personne ne changeait rien !

Il nous a fallu deux mois de confinement et de méditation pour découvrir que l’on pouvait vivre autrement, que l’on pouvait être heureux sans voyage et sans grosse voiture. Il y eut comme un renversement de notre vision du monde et de nos hiérarchies des valeurs.

L’épuisement des ressources

J’avais le projet d’écrire une chronique sur la décroissance lorsque j’ai eu entre les mains le livre de Fred Vargas : « l’Humanité en péril ». Synchronicité encore ? Ce que j’ai retenu de ce livre foisonnant, touffu et redondant, c’est que, quoi que nous fassions, nous sommes globalement condamnés à la décroissance. Si nos pays riches la refusent, d’autres dans le monde en subiront les conséquences au centuple !

J’ai noté deux grands axes prépondérants qui ont emporté ma conviction. Tout d’abord l’épuisement des ressources, à commencer par l’eau douce potable, élément vital mais pourtant gaspillé dans l’agriculture et l’élevage. « Entre la moitié et les deux tiers de l’humanité devraient être en situation de stress hydrique en 2025, seuil d’alerte retenu par l’Organisation des Nations Unies ».

Puis, j’ai été frappé par la liste des minéraux et réserves fossiles qui sont en voie d’épuisement et qui, par voie de conséquences, vont nécessairement oblitérer notre croissance : l’argent est très proche de l’épuisement mais utilisé dans le nucléaire, les énergies solaires, le photovoltaïque, les écrans tactiles, la purification de l’eau…

A partir de 2025, nous commencerons à manquer d’antimoine, de chrome, d’or, de zinc (important en électronique), d’indium (panneaux photovoltaïques, écrans plats), néodyme et strontium pour les aimants. Puis, entre 2030 et 2040, cela sera le tour de l’étain, du plomb, du diamant, de l’hélium, du cuivre (indispensable dans l’industrie électrique).

Entre 2040 et 2050, cela sera le tour de l’uranium et donc la fin de l’énergie nucléaire dans sa forme actuel (sauf surgénérateur), du nickel (batteries des piles), du pétrole et du lithium des batteries des véhicules électriques ! La liste se poursuit et on manquera même de fer vers 2087 !

Dans n’importe quelle direction où l’on porte son attention, nous découvrons des limitations. Bien sûr, l’homme est inventif et peut trouver des alternatives, mais quand les ressources minérales sont épuisées on doit avoir plus recours au système D qu’aux grandes inventions !

Tout ceci permet de comprendre que « le bouleversement de tous nos systèmes de production est inévitable dans la première partie de ce siècle », comme l’affirme Fred Vargas en guise d’avertissement.

L’agriculture et l’élevage

L’élevage industriel consomme à lui seul 70% de l’eau douce de la planète et c’est aussi le plus grand pollueur de l’eau.

Le couple élevage-agriculture intensif est « la deuxième cause des émissions de gaz à effet de serre, du méthane, du protoxyde d’azote, du CO2 et d’une lourde part des gaz fluorés utilisés dans la chaine du froid. Il utilise 83% des terres agricoles du monde qui pourraient nourrir des milliards d’êtres humains, déforestation meurtrière en termes de captage du CO2, érosion des sols, épuisement du phosphore vital, épuisement des ressources en eau potable, cause principale des pluies acides, source de pollutions multiples (pesticides, herbicides, antifongiques) et des marées vertes… »

Tout cela, pour satisfaire notre consommation de viande qui fut multipliée par 5 en 50 ans ! Pour info : 1 kilo de bœuf absorbe 13.500 litres d’eau et 91% des terres récupérées dans la forêt amazonienne servent aux pâturages ou à la production de soja et de céréales transgéniques qui nourriront le bétail.

Des préconisations

Nous avons le mérite et l’avantage de voir venir les difficultés. Il nous revient donc de mettre en œuvre une stratégie pour y faire face et limiter les dommages sur le bien-être de l’espèce humaine dans son ensemble.

Anticiper consiste à prévoir et à entreprendre. Si nous posons comme hypothèse que le réchauffement climatique constitue la menace la plus immédiate, qui nécessite une action dans la durée, nous pouvons retenir deux grandes orientations :

  • « Les pays développés devront réduire de 90% leur consommation de viande pour préserver la planète et nourrir les quelques 10 milliards d’humains attendus d’ici 2050».

L’alternative consiste en une agriculture presque exclusivement vivrière, basée sur les principes de l’agriculture biologique et, en particulier, la permaculture (Lire chronique 536 La nouvelle révolution agricole)

  • Il convient de repenser notre stratégie énergétique. La production de pétrole a commencé à décliner, l’uranium s’épuise et les énergies alternatives nécessitent des matières premières dont l’épuisement est déjà programmé.

La biomasse constitue une alternative crédible. Il s’agit de récupérer toutes les matières organiques disponibles, végétales et animales et, suite à un processus de fermentation, dénommé méthanisation, obtenir un biogaz, mélange de méthane et de CO2. Il reste aussi un « digestat » riche en phosphore et en azote, excellent fertilisant agricole.

  • Modifier notre alimentation en divisant par 10 notre consommation de viande afin de réorienter l’agriculture vers la sobriété en eau.
  • Miser sur le biogaz obtenu par fermentation des déchets.

Ces deux mesures devant diminuer drastiquement l’émission des gaz à effet de serre.

A cela, il faut ajouter l’épuisement des ressources et ainsi envisager, à partir de 2020, une diminution importante et constante de la production industrielle par habitant pour atteindre en 2100 celle de 1920. La seule question qui vaille : étaient-ils moins heureux à cette époque?

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4 commentaires

  1. Jamais, au grand jamais personne n’envisage de réduire la prolifération démoniaque des être humains. On a constaté que cela existe pour des colonies d’oiseaux de certaines îles. Sont-ils plus intelligents que nous ? Pourquoi ne pas commencer à établir une limitation : un seul enfant pas femme pour le siècle à venir. Puis d’autres règles pour assurer / assouplir celle-ci. Cordialement. regis.paul11@gmail.com

    1. La Limitation des naissances se fait naturellement au fur et à mesure que le niveau de vie augmente… Si cela n’est pas suffisant, la limitation des ressources fera le reste, comme dans le règne animal quand l’eau et la nourriture viennent à manquer… et que la pollution augmente!

  2. Tout ce que vous énoncez sonne vrai et nous parle au plus profond de nous-même comme la voix de l’intuition qui ne trompe pas.Merci à vous de vous efforcer de l’exprimer aussi bien et de tenter à chaque fois de remettre les pendules à la bonne heure.

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