891 – SAÏGON – KABOUL BIS REPETITA

chute de Kaboul

Après la chute de Saigon en 1975, le départ d’Irak en 2020 et la capitulation en Afghanistan en 2021, l’armée américaine, la plus puissante du monde, doit signer sa troisième défaite en Asie.

Je me souviens des photos de l’époque : l’armée américaine évacuant son ambassade à Saigon par les toits, le personnel hissé dans des hélicoptères qui filaient vers l’aéroport d’où partaient les derniers avions, sous le feu du Viêt-Cong. L’Amérique s’était mise dans le guêpier vietnamien, volontairement, et croyant faire mieux que les Français qu’elle traitait d’affreux colonisateur ! Je ne sais pas comment il faut appeler les exactions de l’armée américaine au Vietnam, soumis au largage de l’agent orange par hélicoptère sur les populations civiles ? 

Ceux qui, à l’époque, critiquaient l’intervention américaine au Vietnam étaient traités de communistes ! Quelle étiquette faut-il apposer aujourd’hui sur ceux qui condamnent les interventions occidentales en Somalie, en Irak, en Syrie, en Lybie et en Afghanistan ? Des « complotistes », pour reprendre un mot à la mode qui ne figure pas encore dans le dictionnaire ?

Un pari fou à 2000 milliards de dollars !

Les Américains ont pris la place des Russes en Afghanistan, persuadés qu’ils y installeraient la Pax Americana et la démocratie. Cela fait 50 ans que les occidentaux partagent ce rêve fou d’imposer aux autres leur vision du monde, ce qu’ils qualifient pompeusement de « projet civilisationnel » ! Jadis le colonisateur ne faisait pas mieux, persuadé d’apporter aux sauvages les bienfaits du progrès et imposant par la force son système de penser et de voir les choses.

« Bis repetita placent » dit-on des choses que l’on prend plaisir à refaire. Peut-on le dire des situations que l’on répète jusqu’à l’autodestruction, comme le joueur au casino ou le drogué ? Peut-on dire que l’armée américaine et son gouvernement, aiment se mettre dans des situations sans issues ?

A chaque fois l’alibi est le même, il s’agit d’aller combattre les terroristes là où ils ont leurs repères ! Mais, à chaque fois, cette présence d’une armée étrangère suscite une réaction de rejet de la part des populations locales qui, tout compte fait, préfèrent pactiser avec les chefs de guerre locaux, avec lesquels ils partagent plus de valeurs qu’avec le GI qui débarque de l’Arkansas, qui ne parle pas la langue locale et qui n’a jamais vu une djellaba de sa vie !

Il s’agit à chaque fois d’une guerre d’usure qui ne peut se gagner que dans les esprits et dans les cœurs. Que peuvent faire les avions de combats et les chars contre des combattants qui, comme des poissons dans l’eau, se répandent parmi la population et vivent avec elle ? En Afghanistan, comme ailleurs, l’armée américaine a été aveuglée par sa propre puissance, persuadée que l’on écrase une guérilla comme on écrase une armée qui vous fait face…

Les symboles de la présence américaine en Afghanistan, c’était tout d’abord le monstrueux bunker construit au centre de Kaboul pour abriter l’ambassade et la direction des opérations, une ville dans la ville. C’étaient aussi les bases américaines disséminées dans le territoire, barricadées et recluses, dont les soldats n’avaient aucun contact avec la population ! C’était une guerre d’occupation et de domination par la force, sans l’agrément de la grande majorité des populations locales.

Gagner la guerre est autre chose que gagner la paix, comme l’ont durement appris les Français en Algérie en 1962. Après 20 ans en Afghanistan, et une dépense cumulée évaluée à 1000 milliards de dollars, les Américains évacuent Kaboul en catastrophe, humiliés !

Le retour des Talibans

Le plus cruel est de voir s’installer victorieusement à Kaboul ceux-là-même que l’on combat depuis 20 ans. Il s’agissait d’une guerre de civilisation et il s’agit donc d’une défaite civilisationnelle. Pour en arriver là, combien d’erreurs de jugement accumulés ?

Un sénateur Républicain a parlé « d’un immense désastre » et a porté récemment ce jugement sévère : « Le Président Biden est en train de découvrir que le moyen le plus rapide de mettre fin à une guerre est de la perdre ». C’est exactement le sentiment qui domine dans le monde à la vue des décisions récentes. C’est une leçon pour tout le monde : voilà ce qui se passe quand on entreprend quelque chose sans stratégie !

La dernière illusion en date consistait à construire, ex nihilo, une armée Afghane sur le modèle de l’armée américaine, suréquipée en matériel sophistiqué, mais incapable de s’en servir et probablement peu motivée pour le combat. La preuve en est que les Talibans ont réussi l’exploit d’envahir l’Afghanistan et d’arriver triomphalement à Kaboul en seulement 10 jours, sans rencontrer de résistance, ni même d’hostilité de la part de la population !

C’est le sauve qui peut… Les occidentaux ferment leurs ambassades et rapatrient d’urgence le personnel. Ils ne contrôlent plus que l’aéroport de Kaboul qui demeure la seule voie de sortie puisque les talibans contrôlent toutes les frontières et, le 31 Août, ils investiront l’aéroport. 

Le piège se refermera sur les milliers d’Afghans qui ont « collaboré » avec l’ennemi, interprètes, chauffeurs, auxiliaires… Toutes les armées d’occupation ont toujours procédé ainsi et ont laissé leurs anciens collaborateurs aux mains des vainqueurs et vaille que pourra !

L’humiliation

On peut s’étonner que l’armée des Talibans, qui comptent 85.000 combattants, ait balayée en quelques jours l’armée Afghane suréquipée et comptant 300.000 hommes. Tout est sans doute une question de motivation, comme jadis au Vietnam face à un Viet Kong déterminé et prêt à mourir !

Dans leur avancée, les Talibans ont récupéré l’essentiel de l’armement et des véhicules flambant neufs, fournis par les Américains et laissés intacts par l’armée Afghane. Ils n’ont pas dépensé un centime pour acquérir tout ce matériel qui les rend encore plus redoutables. En juillet dernier, Joe Biden avait fièrement déclaré : « Nous avons fourni à nos partenaires afghans tous les outils, laissez-moi insister là-dessus, tous les outils ». Ces beaux outils sont désormais entre les mains des Talibans !

Ils pourront se pavaner dans Kaboul le 11 septembre prochain, date anniversaire des attentats de New-York. L’humiliation est douloureuse pour les Américains, face à ce scénario du pire. Ceci n’a pas empêché l’administration Biden de confirmer qu’elle continuera à équiper l’armée Afghane, qui a perdu le moral et est au bord de l’effondrement. C’est pathétique de stupidité…

L’histoire se répète pour les États-Unis. Après le retrait d’Irak, le groupe État islamique avait pris le contrôle de la ville de Mossoul en 2004, en saisissant les armes et les humvees américains, ce qui lui avait permis de proclamer son califat en Irak et en Syrie.

Le projet des talibans

Les Talibans ne manquaient déjà pas de moyens car, depuis 20 ans, ils se sont organisés. Dans les régions qu’ils contrôlaient déjà, ils prélevaient des taxes, ils gèrent aussi des gisements miniers dont les Chinois constituent les premiers clients. Mais, surtout, ils contrôlent la culture du pavot et le trafic de l’opium qui servent surtout à affaiblir l’ennemi occidental qui a perdu le goût de vivre et préfère s’autodétruire…

Le projet des Talibans a le mérite d’être simple : établir un Émirat islamique et « mettre un terme au chaos général et instaurer la paix dans le pays ». Après 20 ans de guerre, le projet est alléchant. Les Talibans semblent assez bien organisés et disciplinés. Ce n’est pas une armée de va-nu-pieds, comme on aimerait le croire.

Il faut remarquer que, pendant que les ambassades occidentales ferment leurs portes et évacuent leur personnel en catastrophe, les personnels Russes, Turques et Chinois restent en place et entendent bien coopérer. Il s’agit donc d’une défaite de l’Occident dans son ensemble dans une guerre qui est une guerre de civilisation. 

Les talibans vont exploiter à fond cette rivalité Est-Ouest et les Russes vont profiter de la situation du point de vue géostratégique, tandis que les Chinois vont devenir les premiers clients et les premiers fournisseurs du pays. Faut-il rappeler que la Chine a une petite frontière avec l’Afghanistan ?

D’un point de vue plus global, c’est désormais la crédibilité des USA qui est mise en doute, au niveau international. Après avoir renié sa signature concernant les accords sur le nucléaire iranien, l’Amérique abandonne à l’ennemi son protectorat au Moyen Orient. Les services de presse des talibans ont aussitôt affirmé que le prochain reniement concernera Taïwan !

La grande interrogation demeure l’ampleur de la vague migratoire qui risque de déferler sur L’Europe. Car, à chaque fois que l’armée américaine intervient au Moyen-Orient, ce sont les européens qui récupèrent les laissés pour compte. On sait déjà que les Américains ont mis au point une procédure en 8 étapes pour limiter au maximum le nombre de son personnel Afghan qui sera autorisé à émigrer aux USA.

Tout va dépendre de l’attitude de la nouvelle administration de Kaboul. Dans un premier temps elle peut se montrer conciliante avec la population pour ne pas l’effrayer. Mais, parmi les Talibans, il y a aussi des fondamentalistes, proches des islamistes radicaux, qui peuvent prendre le dessus et ensuite imposer une chape de plomb sur les Afghans et surtout sur les Afghanes.

Il y a beaucoup de leçons à tirer de ces évènements et espérer que les occidentaux comprendront, avant qu’il ne soit trop tard, que nous sommes dans une guerre de civilisation :  les islamistes ont comme projet de dominer l’Europe. L’immigration étant le fer-de-lance de cette conquête, les Européens doivent mieux contrôler leurs frontières.

De leur côté, les Français, qui interviennent militairement au Mali pour contenir l’avancée des djihadistes au Sahel, devront réfléchir à leur stratégie car ils se trouvent aujourd’hui dans la même position de fragilité que les Américains en Afghanistan… Lorsque le but poursuivi n’est pas clair, on manque la cible !

Quoi qu’il en soit, la chute de Kaboul le 15 Août 2021 restera une date historique, prélude au déclin de l’Occident, comparable peut-être à la défaite de l’armée romaine à Andrinople le 9 Août 378 face à la révolte des Goths et qui mit en route « la mécanique de l’effondrement ».

Après avoir épuisé ses forces au Moyen Orient en partant en guerre contre des moulins à vent, on peut se demander où l’armée Américaine va désormais porter ses attaques et semer un nouveau chaos. Il lui reste l’Iran, le grand Satan, où elle brûle de tenter à nouveau sa chance, pour laver l’affront de l’Irak et de l’Afghanistan. Il faut bien qu’elle s’occupe et qu’elle s’entraine, en attendant la confrontation du siècle, contre la chine, à Taiwan…

Le dessin humoristique amer de Chapatte, qui figure en tête de cette chronique, a été emprunté au quotidien “Le Temps” daté du 21 Août 2021

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