892 – SODOME ET GOMORRHE

De nombreux auteurs ont associé la décadence des sociétés humaines à la déliquescence des mœurs et à la décadence morale. Peut-on le dire de l’Occident du 21ème siècle ?

Le tableau qui figure en tête de cette chronique est intitulé « Romains de la décadence, l’orgie romaine » et fut peint en 1847 par Thomas Couture. Les critiques de l’époque voyaient déjà « les Français de la décadence » dans cette « allégorie réaliste » des romains décadents, , en allusion à la Monarchie de Juillet discréditée par une série de scandales.

Grandeur et décadence

Cette scène d’orgie est placée sous l’œil réprobateur des statues de César à gauche et de Cicéron à droite tandis que le jeune éphèbe, au centre, serait le glorieux Germanicus qui a vaincu les tribus germaines qui commençaient déjà à harceler l’Empire. « Sous le regard de leurs glorieux ancêtres, les romains de la décadence se prélassent, avachis, prisonniers de leur esprit de jouissance, alors qu’arrive à leurs portes un ennemi germanique qui bientôt va les balayer » écrivaient récemment deux historiens dans le journal Le monde. Cette allégorie vaut pour toutes les époques !

Deux vers du poète romain Juvénal illustrent ce point de vue : « Plus cruel que la guerre, le vice s’est abattu sur Rome et venge l’univers vaincu ». Dès les premiers siècles de notre ère, les auteurs Latins véhiculent l’idée d’un empire ayant atteint son apogée sous le règne d’Auguste avant de s’abimer lentement, mais sûrement, dans une infinie décadence.

Cette idée est reprise par Montesquieu dans ses célèbres « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence ». La décadence serait le fruit à la fois de l’amollissement des mœurs et des attaques de l’envahisseur.

De tout temps, la débauche et la dépravation ont été associées à la décadence et au déclin. Dans la Genèse, les villes de Sodome et de Gomorrhe étaient fustigées comme étant le lieu de toutes les dépravations et des débauches sexuelles de tous ordres, qui attirèrent les foudres de Dieu. On a longtemps cru qu’il s’agissait d’une simple allégorie biblique jusqu’à ce que les archéologues découvrent l’emplacement de la ville de Sodome, dans la vallée du Jourdain, à 13 kms au nord de la mer Morte en Jordanie…

Les derniers jours du monde

Ce thème de la dépravation et de la débauche sexuelle, associées à la destruction, fut à nouveau abordé en 2009 dans le film français intitulé « Les derniers jours du monde », programmé fin Août sur la chaine Arte.

Un critique y voit un « chef-d’œuvre tragi-comico-romantique sensuel et délirant » et « un festival érotomaniaque ». De son côté, un critique du Nouvel Observateur y voyait un « jouissif chaos » et « un vaste foutoir, sensoriel et paillard, scandé par une sublime chanson de Léo Ferré (Ton style est ton cul) … Les pères y couchent avec leurs filles, les hommes avec leur meilleur copain, les fils avec la maitresse de leur père, et tout le monde avec tout le monde. Bref c’est l’anarchie la plus totale ».

On se saurait mieux résumer ce film chaotique et bordélique qui a le mérite de nous épargner les travestis et les transsexuels ! Mais il date de 2009, soit 12 ans en arrière, c’est-à-dire un siècle en matière de mœurs, au train où vont les choses !

Ce qui est intéressant c’est que cette débauche généralisée est accompagnée d’un chaos ambiant généré par un virus, des pluies de cendre, des exodes et des bombes. La mort frappe au hasard et se généralise de façon galopante dans une atmosphère de la fin des temps.

On se demande s’il s’agit d’un film prémonitoire ou d’une description acide et désespérée d’une époque, la nôtre ? Ce film résume, en quelque sorte, Sodome et Gomorrhe et l’on peut se demander si la débauche sexuelle qui accompagne la destruction est seulement l’expression d’un symptôme précoce, mais ne constitue pas une cause à proprement parlé ?

C’est comme si l’approche de l’effondrement générait une frénésie sexuelle, une érotomanie névrotique et sans plaisir.

La hantise de la décadence

Notre époque est hantée par la peur du déclin qui mènerait à l’effondrement, au collapsus définitif, comme le vécu l’Empire d’Occident le 4 septembre 476 après les assauts successifs des Vandales, des Germains, des Goths et des Huns d’Attila. Mais dû aussi aux conflits internes et aux luttes politiques…

Les historiens en ont parlé en décrivant « la fin d’une civilisation », un basculement du monde. Mais avant d’arriver à cet effondrement final, il se passa des siècles de hauts et de bas, d’invasions refoulées, de métissages assumés, de luttes fratricides et d’empereurs faibles ou dépravés.

Notre époque porte-t-elle en germe les prémices de la décadence ? A l’emplacement de l’Empire d’Occident se situe aujourd’hui une Europe désunie, en chamailleries permanentes et sur les marches de laquelle nos positions avancées reculent chaque jour davantage, comme nous venons de le voir en Afghanistan, comme nous l’avons déjà vu en Irak, en Syrie, et en Afrique du Nord.

Ironie de l’histoire, c’est en Afghanistan que se cultive le pavot d’où provient l’héroïne qui mine une partie de notre jeunesse et qui enrichit les Talibans. L’usage de plus en plus fréquent de drogues diverses constitue un symptôme supplémentaire qui traduit le mal-être de l’Occident, dans une sorte d’autodestruction.

Sur le plan des mœurs, nous ressemblons de plus en plus au tableau que brosse le film « Les derniers jours du monde », dans une société désormais obnubilée par le sexe et par les multiples façons de s’en servir. Les films ou les séries télévisées nous montrent, jusqu’au dégoût, toutes les névroses sexuelles possibles et imaginables et se complaisent à nous démontrer que désormais tout est possible, qu’il n’y a pas de normalité.

Après que la structure familiale, base de toute culture humaine, fut discréditée, c’est la notion même de couple qui est désormais la cible d’une intelligentsia post-moderne qui prétend réinventer une société sans norme et remplacer le couple par de multiples interactions « pan sexuelles » …

Dans le même temps, la vieille Europe est ménopausée et ne sait plus faire d’enfants. Sa culture se dissout dans un métissage à l’intérieur duquel personne ne se reconnait. Les frontières sont ouvertes aux peuples qui viennent du Sud et de l’Est, qui veulent imposer leurs mœurs et leurs coutumes, plus strictes et plus structurées. Ces peuples nouvellement arrivés nous regardent effarés en observant nos comportements qu’ils qualifient de dépravés.

L’historien Allemand, Alexander Demandt, explique que les romains, par charité chrétienne, accueillirent les Wisigoths pourchassés par les Huns : « Les frontières furent ouvertes, les Goths affluèrent. L’administration romaine essaya de compter les arrivées. Mais l’action échappa à tout contrôle ». Bientôt, écrit l’historien, « les Goths commencèrent à piller et des violences éclatèrent… malgré cela, la frontière sur le Danube resta ouverte… en 406, celle du Rhin n’était plus étanche. La migration des peuples était en marche ».

Nous devons tirer des leçons de l’Histoire et retenir que les invasions furent les causes les plus communes de l’effondrement des peuples et des civilisations. Pourquoi l’Empire romain s’est-il effondré ? Alexander Demandt, qui a consacré sa vie à cette question, répond : « Il faut y lire une forme de décadence, celle d’une société qui s’était installée dans une prospérité confortable, dont les membres aspiraient à une existence douce et agréable, mais qui n’avaient rien à opposer aux hordes germaniques pleines de vie et d’énergie, lorsque celles-ci, poussées par le besoin, se sont déversées sur la frontière. Des migrants en nombre limité pouvaient s’intégrer. Mais dès lors qu’ils ont dépassé une masse critique et qu’ils se sont organisés en groupes indépendants, le pouvoir a changé de main et l’ordre ancien s’est dissous ».

Le parallèle est frappant entre l’Europe Occidentale d’aujourd’hui et l’Empire d’Occident au Vème siècle, peu de temps avant son effondrement, sous les effets conjugués de mœurs dépravées et d’invasions « barbares ». Il est intéressant d’observer que l’Empire romain d’Orient, chrétien, et dont le siège était à Constantinople, fut protégé de ces deux fléaux et dura encore mille ans, pour finalement s’écrouler sous l’assaut des Ottomans…en 1453.

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