Pour affronter la période agitée et confuse que nous traversons, pour surmonter les angoisses qui nous assaillent, je vous conseille la lecture des philosophes et de cultiver l’amour de la sagesse…
Le hasard a bien voulu remettre entre mes mains «De la Tranquillité de l’âme », petit traité écrit par Sénèque au début de notre ère. La vie de Sénèque, ce stoïcien originaire d’une lointaine province espagnole, est elle-même un modèle. Après avoir subi la folie de Caligula, Il devint à Rome le précepteur de Néron, puis son conseiller politique personnel. Cela n’empêcha pas Néron d’ordonner la mort de Sénèque qu’il affronta avec courage en se suicidant en l’an 65.
La médecine de l’âme
En ces temps troublés que nous vivons, nous avons besoin du réconfort de la philosophie et de retrouver les sources de l’antique sagesse pour affermir notre âme face à l’adversité. Le but auquel nous aspirons est « une chose grande et sublime, et qui rapproche de Dieu, l’impassibilité. Cette stabilité de l’âme que les Grecs dénommaient euthumia ».
Ce que nous recherchons donc, c’est une âme en paix avec elle-même, « heureuse et charmée de ses seuls trésors, une âme enfin que rien ne peut déprimer ou exalter : voilà la vraie tranquillité ».
Il faut se méfier de l’agitation stérile qui nous éloigne de nous-même. A vingt siècles de distance nous nous reconnaitrons dans ces mots : « On entreprend des voyages sans but, on côtoie tous les rivages, on promène sur la terre et sur l’onde une inconstance toujours ennemie de l’instant présent ». L’incapacité à se fixer est pour Sénèque l’un des symptômes de la mélancolie. « Ainsi l’homme toujours se fuit lui-même ».
Deux fléaux pour la tranquillité de l’âme : « Ne pouvoir ni changer ses plans, ni supporter son sort… Que sûre d’elle-même, heureuse et fière de ses avantages, notre âme se retire, le plus qu’elle pourra, de ce qui n’est pas elle ».
Le sage est précisément celui qui s’épanouit dans l’autarcie. Il convient donc de conquérir son autonomie personnelle, de revendiquer sa propriété sur soi-même, de parvenir à un détachement vis-vis des émotions et des passions qui font de nous les esclaves de l’extériorité et créent un état de passivité. Retenons ces leçons et éloignons-nous des media qui cherchent à nous dominer par la peur !
La pratique de la vertu
C’est dès le plus jeune âge qu’il faut être formé à la pratique de la vertu, car la vertu est contagieuse et « répand de loin, sans qu’on la voie, son heureuse influence ». Pour cela, « Réfugie-toi dans l’étude, tu ne seras pas une charge pour toi-même et inutile aux autres, et les plus honnêtes citoyens afflueront vers toi. Jamais en effet, si obscure qu’elle soit, la vertu reste cachée ; elle exhale au loin ses parfums et quiconque est digne de l’approcher la devine à la trace ».
La première des vertus consiste à ne pas préjuger de ses forces et rien entreprendre que nous puissions terminer ou au moins voir finir, « car presque toujours l’amour-propre nous exagère nos forces ». « A tous ces gens-là, le repos vaut mieux que les affaires : tout caractère indépendant et farouche doit fuir ce qui peut irriter sa dangereuse indépendance ».
Chacun devra se laisser porter par son talent. « Tu devras te laisser porter vers ce à quoi ton talent te destine. Un talent que l’on force ne donne jamais le résultat escompté ; aller contre sa nature, c’est s’user inutilement ».
Trouver sa place dans ce monde, n’est-ce pas la première de nos préoccupations ? Et pourtant, suivant les sondages, plus de la moitié des citoyens en Occident considèrent aujourd’hui qu’ils font un travail qui n’a pas de sens ! C’est alors le règne des burn-out et des dépressions, si nous ne suivons pas les sages conseils de Sénèque : « Ne point travailler pour des choses vaines ou vainement ».
Sénèque a alors recours à une analogie qui parle cruellement à ces employés innombrables qui fourmillent dans les bureaux modernes : « Ils sont comme ces fourmis qui grimpent le long des arbres et montent au sommet pour redescendre à vide jusqu’à terre. Voilà l’image de presque tous ces gens dont on qualifierait à bon droit l’existence de laborieuse inoccupation ».
Ce non-sens du travail accompli est peut-être le pire fléau de notre siècle.
A ceux-là, il conseille : « Comme dans une traversée périlleuse, prenons terre plus souvent ; et sans attendre que les affaires nous quittent, prenons congés d’elles les premiers ».
La sobriété heureuse
Le riche est plus vulnérable car il a plus à perdre que le pauvre et « il faut songer que c’est un plus léger chagrin de ne pas posséder que de perdre ». Après ce sage précepte stoïcien, Sénèque ajoute cette remarque pertinente : « Tu trouveras des visages plus riants chez ceux que la richesse ne visita jamais que chez ceux qu’elle a délaissé ».
Il fait alors l’apologie de Diogène qui choisit le dénuement le plus extrême. Il le compare aux dieux qui sont nus et ne possèdent rien. « C’est être roi parmi tant d’hommes cupides et fourbes, parmi tant de larrons et de pirates, que d’être le seul à qui l’on ne puisse faire tort ».
Autrement dit, la richesse éloigne de la vertu et de la sagesse. Sénèque plaidait déjà pour la « sobriété heureuse » selon la belle expression de Pierre Rabbi. « Ayons de moins amples patrimoines, nous serons moins exposés aux injures du sort… La vraie mesure de la richesse est celle qui, sans tomber dans la pauvreté, ne s’en éloigne pas de beaucoup ».
A l’heure du consumérisme débridé, nous retiendrons ces sages paroles : « Habituons-nous à éloigner de nous le faste et à priser dans les choses l’utilité, non l’éclat ».
Ne pas désespérer de la folie des hommes
A toutes les époques, et à la nôtre en particulier, on peut se lamenter de la bêtise et de la méchanceté des Hommes. Sénèque sait nous mettre en garde de cette tentation qui mène au désespoir, quand « une sorte d’horreur pour le genre humain nous saisit ».
Mais, « il y a folie à pleurer ce qu’on désespère de réformer. Et, à tout bien considérer, il est plus noble d’être gagné par le rire que par les pleurs. Le rire soulève une des plus légères affections de l’âme, il ne voit rien de grand, de sévère, ni même de sérieux dans tout notre vain appareil ».
Rions de nous et de nos folies et portons légèrement la vie, elle en sera plus belle. Soyons dans la vie comme au théâtre et regardons les autres vivre comme en représentation, jamais totalement eux-mêmes. « Il y a tant d’hommes dont la vie est un mensonge » qu’il ne faut pas les prendre au sérieux. Ce n’est qu’une mascarade dont il faut rester éloignés.
D’où ce conseil : « Il faut souvent se retirer en soi-même ; la fréquentation d’hommes qui ne nous ressemblent pas trouble l’âme la mieux réglée, réveille les passions et irrite ce qu’il peut y avoir en nous de parties faibles et mal guéries ».
Mais ne recherchons pas la solitude, car si « elle guérit du dégout de la foule, la société dissipe l’ennui de la solitude ». Ce qui revient à choisir ses amis car « rien n’est délicieux à l’âme comme une amitié fidèle et tendre ».
Le règne de l’éphémère
La vie est un passage et, comme le temps qui passe, nous ne retenons jamais rien captif. « Souviens-toi que toute position est chancelante, et que les revers d’autrui peuvent aussi t’atteindre ». Notre position est instable par nature et il est sage de l’accepter. A l’heure de la pandémie qui fragilise nos sociétés, nous devons intégrer cette notion et la faire nôtre.
« Je savais dans quelle orageuse société m’avait confiné la nature. La maladie, la captivité, ma maison qui s’enflamme, rien de tout cela ne peut me surprendre… Puis-je m’étonner jamais de voir fondre sur moi des périls qui n’ont cessé de planer au-dessus de moi ». Telle serait l’humaine condition, qui navigue parmi les tourments et subit mille aléas.
La vie consiste à se préparer aux épreuves qui peuvent survenir afin qu’elles ne nous terrassent pas. Il nous faut les apprivoiser avant qu’il ne soit trop tard, car « il n’est plus temps de s’aguerrir au péril, quand le péril est en présence ».
Tout est fugace et nous file entre les doigts, notre destin est mouvant au point que « la même heure peut nous voir sur un trône et aux genoux d’un maitre ».
Et pour le stoïcien, la vie est un prêt, qu’il va rendre sans chagrin. Vivre, c’est apprendre à mourir : « Retourner au lieu d’où l’on est venu, qui y-a-t-il là de si terrible ? Celui-là vivra mal qui ne saura pas bien mourir ».
Et cet ultime conseil que Sénèque sut s’appliquer à lui-même : « Si c’est la nature, notre première créancière, qui nous rappelle à restitution, disons-lui : Reprends cette âme, meilleure que tu me l’as donnée ».
La sagesse, la paix, la tranquillité de l’âme, l’euthymie, sont autant d’idéaux inaccessibles que nous devons cependant viser pour nous aider à vivre notre humaine condition. Mais il faut aussi savoir faire trêve de cette austère sobriété, car il n’y a « point de grand génie sans un grain de folie »… Je vous laisse méditer avec Sénèque…