967 – LES INEGALITES D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN

L’égalité est une théorie et une belle idée. Dans la pratique, cela n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera sans doute jamais. On sauve la face en disant que nous sommes égaux en droit, mais chacun sait que le droit est à géométrie variable et qu’il peut s’interpréter de mille manières…

Nous sommes inégaux par la naissance, par l’éducation, par nos aptitudes physiques, par nos talents, par le regard des autres et aussi par les hasards de la vie. Aussi loin que remonte l’histoire, les sociétés se sont construites sur les bases de l’inégalité et de la diversité, bien que certaines périodes soient plus inégales que d’autres.

En observant les mécanismes qui génèrent les nombreuses inégalités de nos sociétés contemporaines, on peut craindre qu’elles s’aggravent durablement sous les effets conjoints de l’éducation et de la maitrise des nouvelles technologies.

Les inégalités économiques en 2023

Cela n’est pas la même chose de naitre dans un pays développé qui offre des systèmes d’éducation, des salaires et des soins de santé convenables, ainsi qu’une certaine liberté, ou de naitre dans un pays pauvre qui n’offre que des perspectives misérables, sous la férule d’une dictature féroce.

La première des inégalités est économique, car elle génère de nombreuses autres inégalités. Nous avons le vertige lorsque l’on jette un regard sur le revenu brut mensuel moyen des différents pays du monde, établi par la Banque Mondiale. Nous ne serons pas surpris d’apprendre que la Suisse arrive en tête du classement avec un salaire mensuel moyen de 7500 $. On notera, au passage, que le citoyen français ne reçoit que la moitié de cette somme, en vingtième position dans le classement.

Pour fixer les idées, le Russe ou le Chinois a un salaire mensuel moyen inférieur à 1000 $, ce qui peut paraitre modeste, mais c’est une fortune à côté du revenu moyen d’un Indien qui reçoit 176 $ ou d’un Pakistanais qui se contente de 117 $. Le vertige survient lorsque l’on s’enfonce dans le tableau et que l’on arrive à l’Afrique subsaharienne avec moins de 50 $ par mois, puis au Burundi avec 23 $. On imagine alors ce qu’est la misère, la vie dans des habitats insalubres, le manque de tout et surtout le manque de perspectives… sauf l’émigration vers l’Europe, la seule chance de survie, avec tous les risques que cela suppose !

Bien entendu, au milieu de ce revenu moyen il peut exister d’énormes disparités selon les couches sociales. Voici deux données clefs pour fixer les idées, au niveau mondial :

  • 1% des plus riches possèdent 50% du patrimoine
  • 50% des plus pauvres possèdent 1% du patrimoine.

A cet égard, le Japon et la France sont les pays les moins inégalitaires puisque 1% des plus aisés ne possèdent respectivement que 18 et 24% du patrimoine. La Chine et les USA sont à plus de 42%. L’inde est fortement inégalitaire avec un chiffre de l’ordre de 60%. Les pays les plus pauvres peuvent paraitre les plus inégalitaires, mais ils portent sur des revenus si bas qu’il suffit d’avoir un revenu décent pour être, en comparaison, un super riche.

Les conséquences immédiates des inégalités économiques

Les inégalités ne sont pas choquantes en soi, car elles traduisent la diversité des talents et des ardeurs au travail. Elles peuvent même être bénéfiques si elles stimulent la créativité, le goût d’entreprendre et l’émulation. On peut considérer que, sauf exception, les inégalités modérées, comme au Japon et en France, comportent plus d’avantages que d’inconvénients.

Mais les inégalités de revenus deviennent intolérables lorsqu’elles enferment une fraction importante de la population dans un prolétariat sans espoir et sans issue ! Les conditions de vie dans certaines régions du monde, en Afrique ou en Amérique du Sud, sont d’autant plus affligeantes qu’elles semblent irrémédiables, malgré les nombreuses aides en provenance des pays riches.

L’expérience a montré qu’il faut un minimum d’infrastructures, d’éducation, d’ordre et de sens de l’efficacité pour que les aides soient utiles. Certains pays sont si malades qu’ils ont même perdu l’espoir de guérison, et ils sont si loin des standards internationaux et des critères de compétitivité économique que l’on peut les qualifier d’États prolétaires …

Le seul remède que l’on puisse proposer serait une « dictature éclairée » qui remette de l’ordre de façon autoritaire et rationnelle. Du temps de la République Romaine, lorsque la situation était trop confuse, le Sénat avait la possibilité de désigner un dictateur provisoire chargé de remettre de l’ordre dans le pays.

Les futures sociétés à trois vitesses

Dans les pays développés, les conséquences futures des inégalités sont plus complexes et d’un autre ordre. On voit déjà se dessiner, dans la société, des strates qui deviennent préoccupantes car il semble se creuser un fossé de plus en plus profond entre une « élite » dirigeante, une classe moyenne désorientée et un peuple à la dérive.

Tout commence à l’école. Jadis, l’école publique, laïque et obligatoire, apportait les bases des connaissances pour l’ensemble des citoyens. L’école, avec le service militaire, constituait la grande machine à homogénéiser les différentes couches sociales qui apprenaient à vivre en harmonie.

Aujourd’hui, les paramètres ont beaucoup changé. Les conditions de l’enseignement public se sont gravement dégradées et, dans le même temps, les exigences techniques et le niveau de connaissances nécessaire se sont élevés. L’inadéquation entre l’enseignement public et les besoins réels de la société a transformé l’école en une immense machine à fabriquer des chômeurs !

La situation qui se dessine en France constitue un bon exemple de ce que je veux mettre en évidence. Les couches sociales les plus éduquées ont trouvé dans l’enseignement privé une alternative plus performante à l’école publique. L’enseignement privé est devenu, en quelques années, l’école de l’excellence. Les élèves qui en sont issus ont acquis le goût du travail et sont généralement capables de s’exprimer correctement en trois langues, tandis que ceux qui proviennent de l’école publique ne connaissent que des rudiments d’anglais. Ce phénomène s’accentue au fil des ans et devient une fabrique du cloisonnement social.

La suite est facile à imaginer : ceux qui ont reçu le meilleur enseignement intégreront les meilleures universités, pourront éventuellement étudier à l’étranger et formeront les leaders de demain. C’est ainsi que se constitue une société à trois vitesses : une élite bien formée, bien payée et mobile, une classe moyenne frustrée dont la formation technique ou supérieure est mal adaptée aux besoins, et une masse populaire sans qualification particulière, appelée à constituer le Tiers-État de demain.

La classe moyenne deviendra une variable d’ajustement dans une économie dominée par les robots et sera soumise à une énorme pression sur les salaires. Elle cherchera sans cesse à s’adapter aux nouvelles exigences techniques ou commerciales. Son angoisse sera d’être déclassée et de venir grossir les rangs de la masse peu qualifiée. La perte du goût du travail pourrait constituer le plus grave des symptômes, comme on commence déjà à le percevoir chez les Français qui, de façon suicidaire, semblent vouloir se préparer une retraite de misère.

Le nouveau Tiers-État recevra des subsides pour survivre et se tenir tranquille. Se créera une nouvelle classe de citoyens de seconde zone, atteint de morbidités provoquées par une alimentation déplorable, passant une partie de leur vie dans les mondes virtuels et les jeux vidéo proposés par les nouvelles technologies.

Pendant ce temps-là, l’élite, composée de citoyens du monde aux mœurs décadentes, sans attache, dictera aux autres la façon de vivre et de penser. Elle les fera travailler pour être au service de son idéologie, elle manipulera l’opinion à travers les media qu’elle contrôle et bricolera la démocratie pour gouverner à sa guise. Elle renforcera tous les types de contrôles sociaux y compris la reconnaissance faciale pour faire de la masse un troupeau docile…

Nous pouvons constater, avec ce qui précède, que nous sommes généralement responsables des inégalités, individuellement et collectivement. En tant qu’humains, nous avons beaucoup de difficultés à gérer correctement nos vies individuelles et nos sociétés. Il semble que nous ayons besoin de structures rigides et fermes pour nous guider dans la vie. Nous ne sommes pas faits pour le laxisme et le laisser-aller. Cette constatation n’est peut-être pas réjouissante, mais elle semble évidente. Les nombreuses inégalités sont le fruit de nos incapacités à nous réguler… Par ailleurs, nous pouvons rêver d’une éducation plus ouverte qui apprend à chacun à réfléchir par lui-même pour remettre en cause les vérités que l’on veut nous inculquer.

Ne manquez pas les prochains articles

Laisser un commentaire