979 – L’AMOUR EST-IL UNE ADDICTION ?

Le processus amoureux a déjà fait couler beaucoup d’encre, c’est le fond de commerce de la poésie et de la littérature. Mais les biologistes ont aussi leur mot à dire sur les frissons de l’amour et sur la douleur de la perte de l’être aimé.

Les humains ne sont pas les seuls mammifères à tisser des liens amoureux, bien que seulement 3% de l’ensemble soient monogames. Pour étudier les mécanismes du comportement amoureux, les spécialistes des neurosciences et du comportement animal se sont particulièrement intéressés à une race de campagnols qui prolifèrent dans les plaines du Midwest américain.

Étudié seulement depuis une trentaine d’années, les amours du campagnol de la Prairie semble avoir subjugué nombre de chercheurs, devant ce qui pourrait être un modèle de fidélité et de comportement amoureux quelles que soient les vicissitudes de la vie.

Les prouesses amoureuses des campagnols

Non seulement le mâle et la femelle partagent un nid, élèvent les petits, défendent leur territoire ensemble et se câlinent souvent, mais encore ils ont des rapports sexuels fréquents et « outrageusement longs » selon les termes des chercheurs émerveillés !

Les campagnols du Midwest font preuve de ce qui ressemble à de l’empathie pour leur partenaire, ils sont stressés si l’autre est stressé et se consolent en se câlinant. Ils font, somme toute, ce que font les humains lorsque l’un d’entre eux est malade…

Les physiologistes ont été voir du côté des hormones pour chercher à comprendre les mécanismes biologiques qui génèrent ces comportements altruistes et amoureux. Ils ont trouvé un taux élevé d’ocytocine, hormone bien connue comme régulatrice de l’accouchement, de la lactation, du soin maternel et essentielle dans la genèse des liens sociaux. La vasopressine est une autre hormone qui semble cruciale dans les relations d’attachement.

Les chercheurs ont montré que les campagnols de la Prairie possèdent une grande quantité de récepteurs cérébraux à la vasopressine, contrairement à leurs cousins, les campagnols des prés qui ont un comportement plus individualiste. Mais si, par manipulation génétique, on ajoute une copie d’un gène des récepteurs à la vasopressine à ces individualistes, ils deviennent altruistes et se font des câlins amoureux !

On pourrait en conclure que l’amour n’est qu’une question d’hormone, mais en biologie, rien n’est simple. L’ocytocine, l’hormone de l’attachement, est abondante chez les campagnols de la Prairie aussi bien que chez les humains. Mais, étrangement, si on supprime génétiquement les récepteurs à ocytocine de ces mêmes campagnols, ils conservent leurs capacités à établir des liens, à se câliner et à s’accoupler… Il existe donc d’autres mécanismes inconnus et l’amour conserve ses mystères, d’autant que nombre de mammifères non monogames possèdent les mêmes récepteurs et des taux significatifs des ces hormones, tout en ayant des comportements individualistes…

L’addiction amoureuse

Mais les chercheurs ne veulent rien laisser dans l’ombre et veulent tout comprendre de nos comportements. C’est ainsi qu’ils ont étudié la répartition des récepteurs à ocytocine et à vasopressine dans les différentes zones du cerveau de ces fameux campagnols de la Prairie.

Ils eurent la surprise de constater que chez ces campagnols câlins, amoureux et fidèles, les récepteurs étaient très abondants dans deux zones spécifiques du cerveau, dénommés nucleus accumbens et ventral palladium, bien connues comme étant les zones de la récompense.

Il est intéressant de noter que leurs cousins individualistes et infidèles, les campagnols des prés, ne possèdent pas de récepteurs à ocytocine et à vasopressine dans ces zones cérébrales.

Or, il se trouve que ces deux zones spécifiques sont celles qui sont impliquées dans l’addiction chez les drogués ! Faut-il en conclure que l’amour est une drogue dont on devient dépendant ?

Des expériences, encore plus fines et sophistiquées, ont montré que les cellules cérébrales du nucleus accumbens sont excitées lorsqu’un campagnol de la prairie approche son compagnon. De façon surprenante, le nombre de neurones en activité augmente au fur et à mesure que la relation est plus profonde et plus fréquente !

Cette vision mécaniste de la relation amoureuse est quelque peu dérangeante car elle enlève tout romantisme. Une autre expérience renforce cette approche : si on excite artificiellement les neurones du nucleus accumbens lorsqu’un campagnol est proche d’un congénère, partenaire potentiel, cela génère une préférence, ils vont entrer en relation et s’accoupler. Les biologistes nous font-ils perdre les dernières illusions qui nous restaient ? Ne sommes-nous pas maîtres de nos comportements ?

Le mécanisme de la fidélité

Il apparait clairement que le cerveau des campagnols de la Prairie est programmé pour générer des comportements spécifiques orientés vers la relation et les liens. Mais comment ces liens perdurent-ils ?

En fait, les chercheurs ont pu démontrer que la promiscuité, les câlins et les copulations répétés, stimulaient une catégorie de gènes impliqués dans l’apprentissage et la mémoire. Lorsque deux animaux se mettent en couple on assiste donc à recâblage des circuits cérébraux.

Lorsque les liens deviennent plus stables d’autres gènes entrent en jeu, en particulier ceux impliqués dans les structures cérébrales de la récompense. Si les liens sont rompus, ces modifications s’estompent…

Plus les recherches s’approfondissent, plus le processus amoureux apparait complexe. De nouvelles techniques permettent d’avoir une vue globale du cerveau en action. C’est ainsi qu’on dénombre désormais 70 zones cérébrales impliquées dans les relations affectives, en particulier l’amygdale et l’hypothalamus, zones essentielles dans l’apprentissage de l’émotion et la production d’hormones ! La relation amoureuse et l’accouplement provoquent une véritable tempête cérébrale avec un recâblage des circuits.

Du campagnol à l’humain

Depuis le milieu du XXème siècle, nous savons que l’amour est essentiel pour le développement neurologique de l’enfant. Ce besoin de l’attachement affectif est aussi fondamental que la nourriture matérielle, affection des parents, relations amicales et romantiques, mais aussi la peur de la perte.

Le développement de nos circuits cérébraux repose sur les liens que nous tissons avec un partenaire et sur le désir. Il existe ainsi des gènes qui nous guident vers la découverte de l’identité d’un partenaire, des gènes qui stabilisent la relation et des gènes qui supervisent l’expérience de la perte.

L’affection que nous avons échangé durant l’enfance nous préparent aux relations affectives stables. D’une certaine manière, ce sont les liens affectifs que l’on noue avec un partenaire qui construisent notre cerveau. L’affection est ainsi auto-entretenue et se renforce au fil du temps si on en prend soin.

Les neuroscientifiques ont appris, grâce au campagnol de la Prairie, que les centres de l’émotion et de la récompense interagissent avec d’autres régions du cerveau qui stimulent l’empathie pour obtenir ce sentiment très spécial et finalement très complexe qu’est l’amour….

La seule vue de la personne que l’on aime provoque un afflux de sang dans le centre de la récompense, active les récepteurs hormonaux du nucleus accumbens et entraine un flot d’ocytocine en réponse aux caresses, à la tendresse et à l’orgasme.

Mais l’amour garde encore une grande part de mystère que les scientifiques n’ont pas percé. Il ne suffit pas d’administrer des drogues qui miment les effets de l’ocytocine et de la vasopressine pour déclencher l’amour. Mais peut-être demain, nous saurons traiter le deuil et la perte de l’être aimé en nous délivrant des liens de l’attachement.

Ce que l’on apprend du campagnol de la Prairie, c’est que l’amour s’apprivoise, l’amour se construit, l’amour est aussi une récompense, l’amour protège. D’une certaine manière c’est une drogue douce et bienfaitrice dont le sevrage est également douloureux

La vie de ce gentil campagnol, pacifique et non agressif, semble basée sur l’affection et la tendresse. Faut-il en conclure que ceux qui font la guerre manquent d’amour ? Une petite injection d’ocytocine serait-elle suffisante pour les apaiser ? C’est une voie à explorer…

« Faites l’amour, pas la guerre » écrivions-nous sur les murs en 1968 !

 

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