129 – QUI SE SOUVIENT DE DIEN-BIEN-PHU ?

 

sous l'artillerie Viet

Dans mon carnet de collégien, à la date du 10 Mai 1954, j’ai écrit : «  Je n’ai pas encore eu le temps de mentionner le terrible deuil qui a frappé la France, vendredi dernier : ce fut la chute du camp retranché de Dien Bien Phu en Indochine et la perte de 15.000 soldats français qui furent tués ou faits prisonniers par le Viet-minh. C’est un très  grand malheur qui s’est abattu sur la France à la veille de la fête de Jeanne d’Arc et de l’anniversaire de la fin de la guerre en 1945. Cet anniversaire a été bien terni et le moral de la France fort ébranlé, à un moment où elle a le plus besoin de son courage, de son sang-froid et de l’intelligence de ses hommes pour pouvoir défendre son droit à la conférence de Genève. »

J’étais très jeune, mais du fond de la pension dans laquelle je languissais, je me souviens de l’immense tristesse qui nous frappa. Nous étions consternés. Je me souviens aussi de la bêtise du commandement militaire qui avait choisi de se battre au Tonkin, au fin fond d’une cuvette gorgée d’eau qui fut bien vite encerclée et dominée par l’ennemi. C’était vouloir se battre au fond d’un chapeau ! Mais je me souviens surtout de la lâcheté des hommes politiques qui, à Paris, refusaient d’envoyer des renforts mais ordonnaient de continuer le combat. Le carnage était en quelque sorte programmé car la reddition était dans les plans des politiques. Je crois que mon aversion pour les partis politiques, leur hypocrisie, leur manque de courage et leurs combines, date de cette époque. Elle a toujours été confirmée depuis.

prisonnier du vietcong

Il se trouve qu’un de nos lecteurs, Jean Ballet,  m’a envoyé le texte d’un message adressé il y a quelques jours en mémoire de ceux qui ont connu l’enfer de Dien Bien Phu : « Dans les tranchées noyées par les pluies de mousson, les soldats épuisés, hagards, à court de munitions, assaillis par l’odeur des cadavres qui gisent autour d’eux, attendent que les petits hommes verts aux casques de latanier viennent les faire prisonniers. Beaucoup sont blessés, soignés par des pansements de fortune. Ils ne savent pas encore qu’un autre calvaire les attend : celui des camps inhumains, des lavages de cerveau, de la mort à petit feu sous la férule de commissaires politiques qui, avec une méticulosité bureaucratique, voudront obtenir l’expiation de leurs péchés capitalistes.

Abandonnés, complètement oubliés par la Nation, ils ont été battus par l’indifférence du peuple de France, par la trahison de certains, par une stratégie risquée et des décisions contestables de l’état-major, mais aussi par l’engagement de tout un peuple, la combativité et le courage des Viets…

… Ceux qui ont combattu, qui sont morts et qui ont souffert à Dien Bien Phu, doivent savoir qu’aucun de leurs sacrifices n’a été vain et que la France restera fidèle aux causes pour lesquelles ils se sont battus si noblement. Ils méritent notre admiration, la fierté, la gratitude et la reconnaissance de la France. Leur courage est à jamais exemplaire. »

Le courage doit toujours être salué, la souffrance mérite notre compassion et la mort par sacrifice exige notre respect. Mais hélas, je ne peux souscrire à cette affirmation qu’aucun de leurs sacrifices n’a été vain et que la France restera fidèle ! Cette guerre fut vaine comme beaucoup d’autres, ce qui ne veut pas dire qu’il ne fallait pas la faire et la France est très infidèle, presque par définition. Elle a toujours été d’une profonde ingratitude avec ceux qui l’ont servie et elle a systématiquement ignoré ceux qui se sont sacrifiés. Le sacrifice est sans soute un don total et si grand qu’il n’attend pas de merci. Je ne peux m’enlever de l’esprit cette affreuse pensée que le sacrifice des soldats de Dien Bien Phu n’est pas très éloigné de celui du kamikase, c’est à dire désespéré et inutile. Mais nos mémoires ont besoin de héros, comme pour dépasser un quotidien trop morne. Cela n’est pas dans la cause qu’il défend que le héros est utile, mais il nous aide à vivre au-dessus de notre destin…

Citation du Jour :

« Le tombeau des héros est le cœur des vivants »

André Malraux dans Oraisons Funèbres

 

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