360 – SERMON SUR LA CHUTE DE ROME

Nos vies sont comme celles des empires. Elles commencent dans l’enthousiasme et périssent dans le renoncement. Les mondes sont tour à tour laminés et les plus belles utopies finissent dans la déchéance et le sang. « Le présent surgit du néant et retourne au néant ».

Ne soyez pas effrayés par ce préambule apocalyptique et néanmoins irréfutable. Le sermon sur la chute de Rome fut prononcé au mois de décembre 410 par Saint Augustin, évêque d’Hippone, dans l’actuelle Algérie, pour réconforter ses ouailles atterrés par la nouvelle incroyable qui venait de leur parvenir : Rome avait été envahie et mise à sac par les troupes barbares des Wisigoths d’Alaric. La foule est assemblée en masse dans la cathédrale pour entendre ces paroles : « Tu pleures parce que Rome a été livrée aux flammes ? Dieu a-t-il jamais promis que le monde serait éternel ?… Depuis quand crois-tu que les hommes ont le pouvoir de bâtir des choses éternelles ? L’homme bâtit sur du sable… ».

 « Le sermon sur la chute de Rome », c’est aussi le titre du dernier roman de Jérôme Ferrari dont nous venons d’apprendre qu’il a obtenu le prix Goncourt. A travers la vie d’une famille corse, nous assistons, par dessus les générations, à l’écroulement de multiples mondes, tous éphémères comme l’est la vie. Le changement des modes de vie accompagne les nouvelles façons de penser et d’agir, les coutumes ancestrales changent, les vies se délitent et passent, comme l’empire colonial qui sombre dans la désespérance. Au fur et à mesure que les mondes s’écroulent autour de nous, nous devenons des inadaptés : « Il était comme un homme qui vient juste de faire fortune, après des efforts inouïs, dans une monnaie qui n’a plus cours ».

En permanence, nous assistons tous, en live, à la disparition des mondes et des vies qui nous accompagnent. Nous croyons parfois que notre quiétude sera éternelle et que la beauté qui nous entoure perdurera : « Il s’étonnait que son bonheur fût à ce point inaltérable et il buvait son vin dans la tiédeur du soleil de printemps ». Et pourtant, sans que l’on s’en aperçoive, « sans même qu’un frémissement se fasse entendre », nous constatons soudain qu’un monde a disparu et que nous vivons à une autre époque avec un sentiment de vide : « Marcel est seul et l’heure de la retraite vient lui confirmer ce qu’il avait toujours su, il ne s’est rien passé ».

Il se peut que l’admirable roman de Jérôme Ferrari, au style somptueux, sonne étrangement à

En 410 les Wisigoths mettent Rome à feu et à sang

nos oreilles, alors que nous vivons une époque instable où tout peut arriver et au sein de laquelle chacun sent bien intuitivement que, sans bruit, des mondes s’écroulent autour de nous, y compris nos certitudes. « Chaque monde repose ainsi sur des centres de gravité dérisoires dont dépend secrètement tout son équilibre ». La chute de Rome était depuis longtemps inscrite dans ses mœurs et ses institutions, l’empire attendait tranquillement, sans protester, l’arrivée d’Alaric. Quel sera le Wisigoth ou le Vandale que l’Europe attend pour mettre fin à son lent déclin ? « Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin ».

Je ne vous conseille pas souvent la lecture d’un livre, mais si vous n’en lisez qu’un, lisez celui-ci, il marquera notre époque. Il est admirablement construit et vous aimerez reprendre votre souffle en lisant des phrases amples et lyriques. Ce livre est beau et tragique, il nous montre le dérisoire de nos ambitions et de nos gloires. Nos vies sont nos empires « car Dieu n’a fait pour toi qu’un monde périssable ».

« Les mondes passent, en vérité, l’un après l’autre, des ténèbres aux ténèbres, et leur succession ne signifie peut-être rien ». Mais Augustin répond à Jérôme Ferrari : « Ce qui nait dans la chair meurt dans la chair… mais votre âme, remplie de la lumière de Dieu, ne passera pas ».

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