LA NATION

 

Lorsque l’on regarde derrière soi et que l’on considère l’histoire de l’Europe, on y voit tout d’abord un amoncellement de cadavres. Des millions de soldats plus ou moins héroïques sont morts, dit-on, « pour la Patrie » ! Chaque année, on les célèbre, on les encense, on les remercie au non des vivants.

En ce qui me concerne, j’ai surtout une grande compassion pour tous ceux qui sont morts pour rien. Qu’est-ce que cela veut dire « mourir pour la Patrie » ? N’est-ce pas une grande supercherie pour faire avaler la pilule au peuple qui a été sacrifié ? On emploi des grands mots, on prononce de beaux et de pieux discours pour vanter l’héroïsme, le sacrifice, le don du sang. En réalité, personne n’a rien donné, chacun a obéi aux ordres et les héros ne sont que des victimes. Que l’on me cite une seule guerre qui ait été utile et qui, avec le recul, demeure une bonne guerre !

Les Français ont souvent combattu la Prusse, puis l’Allemagne, jusqu’à l’épuisement total des deux camps. Pour quelle raison au fait ? Qu’est-ce que cela a changé ? Les Français et les Allemands sont aujourd’hui les meilleurs amis du monde et il n’y a pas de peuple dont chacun se sente plus proche. Et c’est tant mieux ! Ceux qui décident des guerres, le font pour des questions d’ego et ils manipulent les peuples en soufflant sur la fibre nationaliste afin que leurs causes aient l’air nobles.

Mais la nation, qu’est-ce que c’est ? Un peuple, un territoire, une culture, une langue, une ethnie, une histoire commune, une somme de croyances ? Au milieu du XVIIIème siècle, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert définissait la nation de la sorte : « Une quantité considérable de peuples, qui habitent une certaine étendue de pays, renfermée dans certaines limites, et qui obéit au même gouvernement ». Suivant cette définition la France et l’Allemagne pourraient constituer assurément un peuple, comme Charlemagne l’a d’ailleurs mis en pratique. Comment se fait-il donc que ceux qui se prétendaient les héritiers des Lumières n’aient eu de cesse de se faire la guerre entre frères ?

Le nationalisme est une maladie infantile comme la rougeole de l'humanité
Le nationalisme est une maladie infantile. C’est la rougeole de l’humanité

 Ceux qui ont le plus vanté la nation, ce sont les Fascistes car le fascisme est d’abord un nationalisme. Selon l’historien Zeev Sternhell, « l’idée mère du fascisme est la défense de la nation contre tout ce qui la menace de l’extérieur ». Mais surtout, le fascisme a une définition plus restrictive de la nation que celle proposée par l’Encyclopédie. Pour eux, la Nation est avant tout une civilisation, avec ses mythes fondateurs et ses croyances. La nation a une culture qui la caractérise et qui constitue un ressort émotionnel considérable qui manque à la définition des Lumières. De son côté, le Nazisme y introduit la notion de race et d’ethnie, ce qui rend la nation encore plus étroite.

On notera l’extrême modernité de la définition de la nation faite par Diderot et d’Alembert, mais on peut regretter l’absence du mot « culture commune ». Une quantité considérable de peuples peuvent avoir chacun des cultures d’origines différentes, mais pour constituer une nation cohérente ils doivent partager des valeurs communes qui constituent le ciment qui les agrège. Le plus bel exemple que l’on puisse donner d’une nation, “constituée d’une quantité considérable de peuples », est la nation américaine qui, en outre, est animée d’une langue et d’une forte culture commune. Ces peuples divers puisent leur fierté à l’ombre du drapeau qui les rassemble.

Ce qui entrave aujourd’hui la constitution d’une grande nation européenne, fière d’elle-même, c’est son incapacité à créer du mythe, à générer une culture commune acceptée par tous. Il existait bien une culture européenne, mais celle-ci n’a pas été prise en compte par les membres fondateurs de l’Europe qui avaient une définition trop matérialiste et trop mercantile de ce qui aurait pu devenir la nation européenne. Il a manqué à l’Europe, et il manque toujours, un souffle, une âme, un mythe. En outre, celle-ci s’est sentie menacée par l’arrivée trop massive, et sur une courte période, de peuples venus d’Afrique qui se sont opposés à la culture européenne. Il aurait fallu une Europe déjà constituée, avant l’arrivée de peuples non européens plus difficiles à intégrer.

Il est vain de condamner ceux qui sentent le danger d’une immigration massive. L’erreur revient aux politiques qui ont eu une vision trop rationnelle et matérialiste de l’Europe. On ne fait pas une nation avec des statistiques mais avec un projet qui dépasse la simple économie de marché. Le socle de la nation Europe, c’est des siècles d’histoire commune et d’échanges, c’est une culture imprégnée des valeurs judéo-chrétiennes, nous sommes tous des fils d’Athènes et de Rome. Les ressorts d’une nation sont faits d’émotions partagées et non pas de croissance du PIB. Hélas, l’Europe a eu honte de son passé, de ses racines et c’est pourquoi elle ne peut faire une nation. Il faudrait qu’elle commence par avoir sa propre équipe de foot pour commencer à exister !

La définition froide et rationnelle de la nation, selon l’Encyclopédie, ne permet pas de constituer une nation vivante, il y manque des dimensions plus subtiles et plus complexes. Les tentatives déplorables du fascisme et du nazisme résultaient de cette faille, de cette erreur fondatrice. Il faut imaginer la nation autrement que dans la guerre et l’affrontement, mais dans le partage d’une culture, fusse t-elle à créer. Il ne peut y avoir de nation sans acceptation de valeurs communes. Quelles sont les valeurs de l’Europe que nous aimerions partager avec ceux qui la rejoignent ? Il se peut que le nationalisme, qui est une enflure démesurée de la défense de la nation, soit la conséquence de la non-prise en compte du besoin d’irrationnel des sociétés.

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3 commentaires

  1. Vous parlez d’une «culture commune» comme trait définitif d’une nation. Vous mentionnez les États-Unis comme un exemple paradigmatique d’une nation ainsi définie. Une nation peut être multiforme. Peut-être une lecture de l’œuvre de penseurs tels que Charles Taylor pourrait contribuer à éclairer le débat. Les États-Unis (votre tasse de thé) est un exemple de cette nation aux multiples facettes. Nationalistes là-bas (en particulier de la Tea Party brin) désapprouvent le plurilinguisme, mais c’est un fait qu’ils ne peuvent pas éviter.

  2. Et pourtant… quelque groupe humain que ce soit, quels qu’en soient les critères,
    ethniques, religieux, ou culturels (donc avec un système de valeurs commun)….
    Etats, nations… peu importe.
    la solidarité/coopération à l’intérieur d’un groupe ne peut s’exprimer que par l’opposition à l’égoïsme/aggressivité envers ceux qui n’en font pas partie.
    Les Roms ou les Inuits par exemple, se nomment eux-même “les hommes” par opposition “aux autres”, toujours le même processus.
    Ce qui permet de définir l’appartenance à un groupe, est tout autant ce qui en exclu les autres, sans quoi la notion de groupe n’a plus de sens.
    Si le relativisme culturel qui prévaut aujourd’hui ne conçoit que des individus donc permet aussi de théoriser la paix;
    http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2002-3-page-19.htm
    elle a aussi un prix;
    il n’y aura pas un altruisme universel, mais un égoïsme universel.

    Et étant donné qu’une société basée sur l’individu, par définition, ne peut se maintenir sans un lourd système de redistribution,le modèle s’effondrera.

    merci de me prouver que j’ai tord.

    1. Je suis assez d’accord avec vous. Un groupe ne peut se définir que par l’exclusion de ceux qui n’en font pas partie.Néanmoins, cela ne signifie pas nécessairement agressivité. On peut imaginer des groupes différents qui vivent en harmonie les uns avec les autres. Soyons utopiques!

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