688 – COMMENT MESURER LE BONHEUR ?

Nous recherchons tous le bonheur, sans très bien savoir ce qu’il est. Sommes-nous heureux ? Il n’est même pas très facile de répondre à cette question ! Mais, après tout, qu’est-ce que le bonheur ?

Nous voilà au cœur d’une des grandes problématiques du genre humain. Tous les philosophes se sont exprimés sur cette question sans apporter de réponses convaincantes et définitives.

Du sable entre les doigts

C’est comme si la définition même du bonheur était aussi insaisissable que le bonheur lui-même. L’une et l’autre nous filent entre les doigts dès lors que l’on croit les tenir. Il faut dire que le bonheur est mis à toutes les sauces, c’est un mot si vaste qu’il peut revêtir divers aspects depuis le « profond bonheur de vivre » jusqu’au bonheur simple d’une soirée entre amis.

Je parlerai ici du bonheur comme d’un état de bien-être durable. Il ne s’agit donc pas d’une joie fugace ou d’un plaisir superficiel, mais bien d’un état profond qui implique tout notre être, corps et esprit. Que l’on se comprenne bien, le bonheur ne correspond pas nécessairement à la satisfaction de tous nos désirs. C’est un état dans lequel on se sent totalement bien, indépendamment de ce que nous ne possédons pas.

Le bonheur est subjectif et personnel. Il est intériorisé et il est bien difficile de préjuger du bonheur des autres. Il n’existe pas de mesure du bonheur car il n’est pas quantifiable. On peut interroger chacun mais on n’est jamais sûr que la réponse soit sincère, tant il est difficile d’être honnête avec soi-même. Il peut parfois nous être aussi difficile de prendre conscience de son bonheur, comme de son malheur…

C’est si intime, qu’il existe parfois une certaine pudeur à s’avouer heureux ou malheureux. D’ailleurs, comment savoir si l’on est pleinement heureux ou seulement à moitié ? Est-on sûr d’avoir un jour expérimenté le bonheur total, dans toutes les dimensions de notre être ? Nous avons peut-être des exigences qui rendent le bonheur difficile d’accès. Comme un mirage, il s’éloigne au fur et à mesure que nous avançons.

Sommes-nous plus heureux que nos ancêtres ?

La science et la révolution industrielle ont donné à l’humanité des super pouvoirs. Nous avons un confort, une technologie et un niveau de connaissances, comme jamais dans l’histoire. Nous avons une liberté, un ordre social et une compréhension psychologique qui comblent la majorité de nos désirs. Mais, question fondamentale, sommes-nous plus heureux ? Qui peut répondre à cette question ?

Qui peut dire que l’employé moderne, qui dispose d’un bon job, d’un appartement douillet et d’une famille aimante, est plus heureux que le chasseur-cueilleur qui, il y a 30.000 ans, ne devait rien à personne, n’avait pas d’horaire et ne comptait que sur lui-même pour assurer sa subsistance et la sécurité de sa famille ?

Les paramètres du bonheur

Il existe un consensus pour admettre qu’un certain niveau de revenus et de confort est un paramètre essentiel. La misère et le dénuement sont certes incompatibles avec le bonheur, mais la simple pauvreté dans laquelle l’être humain conserve sa dignité peut se conjuguer avec le bonheur, comme on peut le constater dans nombre de communautés agraires traditionnelles. La pauvreté n’est pas la misère.

Divers études ont démontré que les liens familiaux et communautaires avaient plus d’impact sur le bonheur que l’argent et la santé. De multiples travaux ont confirmé une étroite corrélation entre les bons mariages et le sentiment subjectif du bonheur et, inversement, entre les mauvais mariages et le sentiment malheureux.

Les immenses améliorations matérielles apportées par la science et la technique depuis deux siècles ont certainement pu contribuer à notre bonheur. Mais il semble, hélas, que l’éclatement de la famille et du sentiment communautaire auquel nous assistons ait annihilé ces effets bénéfiques !

Chaque nouvelle invention ajoute, à chacun d‘entre nous, un nouveau challenge et une distance supplémentaire qui nous éloigne du jardin d’Eden. Les images de perfection véhiculées par les media nous renvoient à nos propres imperfections. On voit sur nos écrans des corps si parfaits, des familles si harmonieuses, des gens si à l’aise dans la vie, que ces images irréelles mettent en exergue nos propres manques.

Finalement, il semble que notre bonheur dépend moins de données objectives telles l’argent, le confort ou même la santé, que de notre attente subjective. Si on me fait miroiter un voyage à Hawaï, mais finalement on m’emmène dans le Limousin, je serai déçu. Mais si je ne m’attends à rien et qu’on me propose une semaine dans la campagne limousine, je sauterai de joie !

En effet, la sagesse populaire et les maîtres de philosophie nous disent tous que ce que l’on a déjà est beaucoup plus important que ce que l’on n’a pas ! C’est toujours le même dilemme du verre à moitié plein ou à moitié vide. La première conclusion consisterait à reconnaître que, d’une certaine manière, c’est nous qui décidons de notre bonheur.

Le point de vue du biochimiste

Il est une approche plus matérialiste, et moins subjective, qui consiste à regarder du côté de la chimie du cerveau. Le bonheur, la douleur ou l’état amoureux sont accompagnés de modifications biochimiques mesurables. Lorsque nous sommes heureux notre cerveau baigne dans un flux de médiateurs chimiques qui accompagnent cet état: dopamine, sérotonine, oxytocine.

On pourrait donc provoquer le bonheur à la demande. N’est-ce pas ce qu’essayent de faire certains médicaments psychotropes, tranquillisants, antidépresseurs et autres ? Certes, ils sont accompagnés d’une série d’effets secondaires qui peut en décourager plus d’un. Cela rejoint ce qu’avait anticipé Aldous Huxley dans « le meilleur des mondes », chaque citoyen devait prendre quotidiennement sa dose de soma et chacun était heureux et efficace.

Ce bonheur là peut vous faire frémir, mais quand on constate le nombre de petites pilules du bonheur prescrites chaque année par les médecins, on n’est pas très loin.

Ce que l’on constate aussi, c’est que nous ne sommes pas tous égaux face au bonheur. Nous héritons dans nos gènes d’une bonne ou d’une mauvaise aptitude au bonheur suivant le fonctionnement plus ou moins adéquate de nos neurones. Encore que l’on ne sait pas si la cause est du côté de l’œuf ou de la poule. Décidemment, rien n’est simple…

La question du sens

Le risque consiste à confondre le plaisir et le bonheur. Il apparaît que le bonheur n’est pas lié aux évènements extérieurs mais davantage au sens que nous donnons à nos actions. Vous connaissez la parabole des tailleurs de pierre. Le promeneur s’approche du premier et lui demande ce qu’il fait: « Vous voyez bien, je casse des cailloux » lui répond-il avec lassitude. Plus loin, il pose la même question à un autre tailleur de pierre qui lui répond fièrement : « Moi, je construis une cathédrale».

Ce qui compte finalement, c’est l’histoire que l’on construit autour de nos actions pour les habiller dignement. D’une certaine manière le bonheur dépend des fictions que l’on invente. Le bonheur se décide suivant le point de vue avec lequel on regarde sa vie et le monde qui nous entoure. C’est aussi ce que l’on peut appeler « la pensée positive ».

Se satisfaire de ce que l’on a et mettre de la noblesse dans nos actions. Je dirais que la recherche du bonheur n’est pas étrangère à la recherche de la transcendance. Nous avons besoin de nous sentir reliés à un monde plus vaste que nous, à des mystères qui nous dépassent. Ma vie et mes actions commencent à prendre sens lorsqu’elles s’inscrivent dans un ensemble où chaque élément est interconnecté, le plus proche comme le plus lointain.

Enfin, le bonheur est-il à regarder du côté de Bouddha qui préconise non seulement de ne pas se laisser perturber par les phénomènes extérieurs, mais aussi de rester imperméables à nos ressentis intérieurs ? La suprême sagesse irait alors de pair avec le suprême bonheur, dans le détachement total des vicissitudes du monde et de nos états d’âme, sans aucune peur, même pas de la maladie ou de la mort.

Vous constaterez avec moi que la question du bonheur n’est pas facile à saisir et à comprendre. Je retiendrai quelques pistes après ces rapides réflexions : Il me faut déjà choisir d’être heureux, me contenter de ce que j’ai, sans me préoccuper de ce que je n’ai pas. Je dois veiller à ne pas confondre les plaisirs extérieurs avec le bonheur, ce qui ne veut pas dire que je doive les refuser. Ma vie a aussi besoin d’être enchantée, d’être mêlée à une histoire qui lui donne sens et dont je suis l’auteur. Je choisis donc de construire des cathédrales. Le bonheur serait alors cet immense sentiment de bien-être que l’on ressent lorsque tout notre être est en harmonie, corps, esprit et âme, ici et maintenant.

Ne manquez pas les prochains articles

5 commentaires

  1. Le bonheur n’est qu’un état de conscience positive passager . Un état de grâce qui n’est pas censé durer….
    Pour avoir connaissance de cet état il faut un point de comparaison d’un état négatif… ce qui fait que l’on pourrait avoir du bonheur mais ne pas le savoir. Pour les mêmes raisons on ne peut le mesurer que par rapport à la pire expérience négative d’une situation que l’on ai déjà vécu.
    Faut il rechercher le bonheur ? personnellement je pense que non par contre on peut travailler pour le bonheur de quelqu’un d’autre.
    La drogue peut apporter du bonheur “momentané” ce n’est qu’une perception du cerveau, mais le danger de l’accoutumance fait qu’il se dégrade rapidement et le cerveau réclame alors des doses de plus en plus forte jusqu’à la déchéance

    1. Ce que j’ai essayé de montrer, c’est la différence entre le simple plaisir (boire, fumer, manger, faire l’amour …) qui est passager et le bonheur qui est plus profond et plus durable. La drogue peut provoquer une euphorie qui nous coupe de la réalité et nous plonge dans l’illusion. Le bonheur est pleine conscience.

  2. Et si l’altruisme était la clef du bonheur, le vrai, ce sentiment de bien-être, de joie de vivre ?
    Malheureusement c’est une notion qui tend à disparaître, quoique … chacun vit pour plus de confort, plus de possessions … il y a des exceptions, bien sûr!
    Autrefois on nous expliquait qu’il fallait regarder plus petit que soi, sans pour autant exclure une légitime ambition … aujourd’hui on veut systématiquement rivaliser avec “plus grand” : l’effet n’est pas le même ! … c’est l’insatisfaction presque générale.
    Comment évoluerons les générations futures ?
    .

    1. Merci pour votre remarque. En effet, l’altruisme peut provoquer un grand bonheur. On reçoit beaucoup de ceux à qui l’on donne, comme l’attestent ceux qui ont consacré leur vie aux autres.

Laisser un commentaire