821 – MALAISE DANS LA CIVILISATION

Le confinement est propice à la réflexion. Assistons-nous à une répétition générale de l’effondrement anticipé par de nombreux auteurs ? Quelles seraient les voies de la résurgence pour échapper au pire ?

Nos sociétés ne tournent pas rond et l’épisode de la pandémie que nous vivons actuellement ne constitue qu’un des multiples aspects qui menacent nos sociétés hyper-technologiques. Nous avons craint qu’un virus informatique planétaire nous paralyse totalement. Finalement nous avons le coronavirus qui nous coupe le souffle mais qui nous aide à prendre conscience de la fragilité des sociétés contemporaines que nous avions tendance à croire plus fortes qu’elles ne sont, malgré de nombreuses mises en garde.

Une dégradation des valeurs sociétales

Chacun d’entre nous pouvait déjà observer une sorte d’effritement de nos sociétés occidentales qui commençaient à douter d’elles-mêmes et s’étaient laisser imprégner par une sorte de pessimisme insidieux.

Sur le plan économique, les individus envisageaient une détérioration du niveau de vie de leurs enfants par rapport à la génération précédente. Les inégalités grandissantes généraient un sentiment de profonde injustice et l’arrogance des super-riches face à l’augmentation de la pauvreté était devenu intolérable.

Sur le plan politique, les citoyens avaient perdu confiance en la capacité de la démocratie de surmonter la multitude de problèmes complexes qui se présentaient et le discrédit du personnel politique ajoutait au doute et au scepticisme ambiant.

Sur le plan des valeurs personnelles, on pouvait observer le même délitement des structures fondamentales de nos sociétés dans une confusion générale entre liberté individuelle et permissivité libérale. Cette absence de repères, de valeurs et d’interdits qui structurent le mental avait débouché sur un relativisme moral.

Une grande partie des populations n’acceptait plus les contraintes inhérentes à toute structure. Il n’y avait plus d’identité propre, plus de racines, plus de différence entre les hommes et les femmes, on peut même passer de l’un à l’autre et réciproquement! Il n’y a plus de frontières, plus de différence entre l’Orient et l’Occident, entre les cultures etc…  Finalement tout se vaudrait, et nul ne pourrait différencier le bien du mal, le beau du laid… Tout serait homogène et indifférencié dans une sorte de brassage mortifère.

Nos sociétés n’ont plus de dieux à prier, plus de héros à honorer, plus de projets plus grands que nous-mêmes. Le désir d’enfant s’étiole et la famille ne protège plus.

L’ensemble de ces paramètres ont généré un effritement généralisé de la cohésion sociale et du ciment qui permettent aux civilisations de perdurer. C’est ainsi que nous assistions à une lyse de nos sociétés qui ne parvenaient pas à s’inventer un avenir et qui attendaient la catastrophe en tremblant de peur.

C’est dans ce contexte que survint le coronavirus qui, somme toute, était attendu comme une délivrance, lui ou toute autre catastrophe. Il est d’ailleurs intéressant de constater combien cette pandémie a été acceptée facilement, comme une opportunité pour réfléchir et arrêter notre course folle.

Le syndrome d’encerclement

Sur le plan plus global, la situation n’était pas meilleure et l’abondance de littérature ou de films sur la finitude de nos sociétés attestent de cette peur latente de l’effondrement. L’Apocalypse des Ecritures n’étant, étymologiquement, qu’une prise de conscience.

Parmi tous ces livres, je recommande l’admirable « Effondrement » signé par Jared Diamond qui retrace les divers effondrements que l’humanité a déjà subi, tous générés, pour une grande part, par ses propres actes irréfléchis. Il nous donne des pistes pour éviter notre effondrement qui va se produire si nous ne modifions pas notre trajectoire.

La littérature contemporaine abonde de livres sur le thème du déclin, de la survie, de la décadence et, finalement, du collapsus final. Depuis le « Manuel de survie », jusqu’à « L’humanité en péril » de Fred Vargas. « J’écris pour dire que le monde va mal » confesse Frédéric Paulin auteur d’une trilogie qui pointe les failles de nos sociétés avec des titres évocateurs du genre « Prémices de la chute » ou plus récemment « La fabrique de la terreur ».

En son temps, j’avais moi-même écrit “Démocraties en péril, Déclin de l’Occident” qui, dix ans après, me semble étrangement d’actualité!

L’imaginaire de l’effondrement est inséparable de l’idée que le progrès se retourne contre nous. Nous nous sentons menacés de toutes parts. Nous savons tous que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et que la croissance économique, basée sur l’épuisement des ressources, doit laisser place à une meilleure qualité de vie. Le quantitatif du « toujours plus » doit s’effacer au profit du qualitatif.

Où que l’on tourne son regard, on aperçoit un danger prêt à surgir. La planète est en surchauffe et on nous promet la cuisson à petit feu. La pollution chimique et médicamenteuse, ainsi que la guerre et le terrorisme, nous menacent plus sûrement que le coronavirus. La mondialisation et la technologie menacent nos emplois. Les vagues migratoires bousculent notre culture et nos valeurs traditionnelles. La peur du terrorisme ou des épidémies entravent chaque jour davantage nos libertés.

La menace nous entoure, nous sommes cernés. Nous sommes ainsi ballotés dans un monde hostile, ivre de changements et de vitesse, dans lequel nous sommes pris comme dans un tourbillon sans fin qui nous effraie et nous fait perdre la tête. Le monde va trop vite pour nous et nous avons besoin de faire une pause. Il s’agit d’une crise anthropologique qui concerne l’humanité dans son ensemble…

Le renouveau

C’est en ce sens que le coronavirus peut avoir quelques vertus. Il nous oblige à nous mettre en retrait et à observer l’état du monde. Nous pouvons contempler notre œuvre, ses bienfaits et ses méfaits.

Telle est la mission de la collapsologie, nous faire prendre conscience de la nature dans laquelle l’humanité était immergée depuis son origine. Comprendre que la technologie et l’urbanisation massive nous ont coupé de nos racines, de notre origine, de notre bon sens. Nous avions oublié que nous sommes la nature…

Telle serait l’origine des nombreuses failles de nos sociétés contemporaines et de ses dérives. Nous vivons trop hors sol, obnubilés par les prouesses techniques, par la réussite matérielle, par le succès, par le culte de l’ego, dans une fuite en avant sans fin. Le paysan sait combien de personnes peut nourrir son champ, il en connait les limites et les rendements. Cela le rend humble et modeste.

La technique moderne n’accepte pas les limitations, elle pense sur les bases d’une croissance infinie, de surperformances, de surhomme, d’homme augmenté, et même d’immortalité. Elle est aussi insatiable que Faust et en veut toujours plus. Plus de savoir, plus de jouissance, plus de pouvoir… jusqu’à la chute. Le confinement que nous vivons nous démontre combien nos sociétés hyper-techniques sont aussi désarmées que du temps des grandes épidémies du Moyen-Âge !

La très grande crise économique qui attend l’humanité peut être une occasion unique de repenser le monde. Après avoir pris conscience de notre fragilité individuelle, nous prenons conscience de la fragilité fondamentale de nos sociétés interconnectées. Les évènements à venir peuvent nous permettre, sous la contrainte, de réaliser des changements globaux qu’aucune instance politique n’aurait pu imposer.

Il va falloir apprendre à vivre parmi les ruines. C’est le thème du livre d’Anna Tsing, « Le champignon de fin du monde » qui nous invite à regarder ce qui repousse après une catastrophe, tel ce matsutaké qui fut le premier à pousser après Hiroshima.

Freud avait raison, l’agressivité, la cruauté, la violence, la souffrance et le malheur sont inhérentes au genre humain.

La vie n’est pas vertueuse. Depuis son origine elle n’a fait que s’adapter aux contraintes. L’humanité fait de même. L’homme n’a jamais fait un choix éclairé et raisonnable, il a toujours agi selon la nécessité. Pour survivre à leur propre puissance, nos sociétés devront s’adapter et celles qui ne le feront pas seront éliminées. Le coronavirus fait partie de la grande poussée évolutive qui, depuis la nuit des temps, oriente notre destinée…

 P.S. Je vous conseille de lire ou de relire « Effondrement » de Jared Diamond dont le sous-titre précise : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.

Vous pouvez relire aussi “Malaise dans la civilisation” de Sigmund Freud.

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2 commentaires

  1. Je connaissais depuis longtemps le laboratoire Yves Ponroy, et un jour j’ai découvert la Chronique Libre sans faire le rapprochement. C’est lorsque je me suis abonnée que j’ai compris.
    Je voulais vous remercier, Monsieur, pour ces articles. Je me retrouve dans vos propos et dans votre analyse de la société. Aujourd’hui vous citez des livres que j’ai tous lu … sauf un.
    Je vais avoir 88 ans, j’étudie la mise en condition et le délabrement de notre pauvre planète depuis les années 60. J’espère comme vous que ce Coronavirus nous obligera à réfléchir et à changer de paradigme, comme dit Aurelien Barrau dans son dernier livre, «  le plus grand défi de l’histoire de l’humanité »

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