L’Occident a cru qu’il pouvait se passer des religions. En fait, il en change, poussé par un besoin naturel, comme si la psyché humaine se desséchait dans la seule et pure rationalité. Nous avons besoin de magie, nous avons besoin de sacré, nous avons besoin d’adhérer à des croyances.
Par un extraordinaire retournement, ce siècle de la raison et de la logique scientifique se transforme en croyances aveugles et irrationnelles et les affirmations aléatoires des instances sanitaires qui se drapent sous les oripeaux de la science. Contre l’évidence de son quasi-échec, la religion vaccinale est devenue l’alpha et l’oméga de la nouvelle pensée religieuse, au point qu’il est devenu impossible d’avoir à son sujet un échange rationnel et censé…
Cette remarque me sert d’introduction à une réflexion sur la puissance du religieux qui souvent domine les esprits les plus rationnels, pour le meilleur et pour le pire… La pensée religieuse n’est pas réservée aux illuminés ou aux primitifs comme le suggère nombre d’athées qui se prétendent rationalistes !
L’émotion religieuse
Je fais partie de cette génération charnière qui a vécu en live le passage d’une société cléricale et religieuse à une société athée et rationaliste. Mes racines sont religieuses, mais ma tête est, en partie seulement, areligieuse.
Quand je rentre dans une église, j’éprouve une émotion, je ressens l’atmosphère sacrée qui la baigne. Le silence inspire à la méditation et au recul par rapport aux brouhahas du monde. Curieusement, la méditation et le silence apaisent l’agitation du cerveau, éloignent de la pensée rationnelle et ouvrent la porte au sacré.
Tout se passe comme si la méditation était à la fois utile pour prendre du recul avant d’agir et, en même temps, proche de l’esprit religieux, irrationnel, qui cherche le contact avec des entités non matérielles, invisibles.
Il se peut que l’esprit humain soit au confluent de deux mondes, puisant dans le visible rationnel et dans l’invisible impalpable. Il semblerait que nous soyons abreuvés par ces deux sources et nourris de ces deux courants.
En effet, j’ai souvent constaté combien ceux qui ne s’abreuvent essentiellement qu’à une seule source sont comme déconnectés de la complexité du vivant. Les uns sont éthérés, absents d’ici et maintenant, les autres ont l’esprit desséchés, étriqués, incapables de ressentir la pulsation de la vie dans toutes ses composantes.
Plus profondément, je crois que nous avons un besoin inné de merveilleux, de sacré, de magie, pour pouvoir développer un esprit rationnel et lucide. Il est intéressant de noter que les grands esprits de notre temps, résolument rationnels, n’ont jamais renié la part de sacré et de mystérieux de l’âme humaine.
Fabriquer des dieux
Depuis la nuit des temps l’humanité a toujours concilié, sans doute de façon intuitive, l’esprit et la matière, comme si ces deux dimensions étaient indispensables à son développement et même à sa survie. C’est ainsi que l’homme a toujours eu le génie pour s’inventer des dieux !
L’ethnopsychiatre Tobie Nathan, dans son livre passionnant intitulé « Secrets de thérapeutes », nous remet en mémoire l’épopée biblique de Moïse, monté sur le mont Sinaï pour y recevoir la Loi. Mais, ne le voyant pas revenir, le peuple s’impatienta. « Pensant avoir perdu leur prophète et leur dieu, les chefs de clan exigèrent d’Aaron, le frère de Moïse, qu’il fabriqua un nouveau dieu qui marcherait devant eux ». Malgré ses réticences dues aux interdictions divines, Aaron fabriqua un nouveau dieu. Il demanda aux femmes d’apporter leurs bijoux en or, les fit fondre et fit fabriquer un veau d’or, un nouveau dieu que le peuple adora…
Cette épopée illustre le besoin de dieu, le besoin d’un guide, le besoin de sacré. Tobie Nathan précise que la dévotion aux fétiches est une sorte de religion primitive et, très curieusement, les fétiches africains sont « dieux » précisément parce qu’ils ont été fabriqués.
Sous toutes les latitudes, les dieux sont le fruit de l’imagination humaine, ce qui n’altère pas la dévotion qu’on leur porte. Tobie Nathan décrit la fabrication très complexe et très codifiée des fétiches dénommé « Boli » en Bambara, ce qui signifie aussi « placenta » et dont, au Mali, nul ne doute de sa puissance. « S’il est correctement fabriqué, un boli entretenu, nourri, c’est-à-dire recevant régulièrement prières, danses et sacrifices, est réputé vivant et actif ». Il apporte cette précision essentielle : « Mais le boli n’est pas une représentation, il est le dieu ».
La force de l’intention
Nos esprits rationnels occidentaux blasés regardent ces dieux-fétiches d’un œil amusé et condescendant. Néanmoins, de nombreux témoins et observateurs attentifs ne doutent pas de la puissance réelle des fétiches qui peuvent être protecteurs ou malfaisants. Mais comment donner une âme à la matière ?
Le principe essentiel consiste à animer l’inerte et lui conférer une capacité d’agir de manière autonome. Tout est dans l’intention qui préside, par exemple, à la fabrication d’un Bocio, statuette fétiche Vaudou, dans le choix des éléments constitutifs, dans le choix des divinités évoquées, dans les paroles prononcées. Chaque fétiche est « chargé » avec un programme d’action précis en fonction de la personne à laquelle il est destinée. « Chaque bocio est unique car il est le prolongement, dans le monde caché, de son commanditaire et de l’artisan qui l’a conçu ».
« Un bocio correctement fabriqué est l’équivalent d’une interprétation correcte de la vie passée et de la projection dans l’avenir de la personne pour laquelle il a été fabriqué », précise Tobie Nathan. L’objet a pour mission de protéger, de jeter des sorts, de venger ou de guérir !
En un certain sens, le bocio est un médicament symbolique, porteur d’une intention et, comme un vaccin, constitué d’un fragment du mal ! Je ne suis pas très éloigné de penser que nos médicaments sont également porteurs d’une intention générée à la fois par le prescripteur et par le patient. Nous sommes soumis aussi à l’effet placebo comme à son contraire, l’effet nocebo. Le médicament a aussi son coté magique. Nous sommes souvent des fétichistes des médicaments, avec une foi aveugle en leurs pouvoirs de guérison, ce qui a un effet favorable sur les résultats … L’inverse est aussi vrai.
Des corps sans âme
J’ai toujours pensé que la thérapie avait quelque chose à voir avec la religion. Les shamans et les guérisseurs, même modernes, sont toujours en relation avec une divinité qu’ils prient avant d’agir. La maladie est souvent mystérieuse et touche toutes les dimensions de notre être. C’est être bien prétentieux que de prétendre guérir en n’agissant que sur la matière !
J’aime beaucoup cette phrase de Tobie Nathan : « Soigner, c’est apprendre à ne jamais savoir ». Je suis persuadé depuis longtemps que l’origine du mal-être de notre civilisation, malade chronique, trouve en partie sa source dans précisément un manque d’être, c’est-à-dire une mutilation de notre dimension sacrée, une carence d’âme.
Nos sociétés contemporaines ont du vague à l’âme, elles semblent orphelines et sujettes à une sorte de déprime chronique qui émousse leur désir de vivre. Elles sont coupées du sacré, elles ont rompu les amarres avec leurs dieux et rejeté avec force le monde invisible des esprits. Elles croient en la seule vertu de la raison pure et aux seuls bienfaits de la pensée logique et scientifique !
En 1887, Fiedrich Nietzche a écrit dans Le gai savoir cette phrase prophétique : « Le plus important des évènements récents, le fait que Dieu est mort, que la foi au dieu chrétien a été ébranlée, commence déjà à projeter ses premières ombres ». Cette ombre a aujourd’hui envahi nos sociétés désemparées, en pleine débâcle spirituelle et existentielle;
Nous sommes devenus des corps sans âme. Nos dieux sont désormais strictement matériels, terre à terre, mesurables, quantifiables, mais sans magie, sans rêve. Seront-ils suffisants pour combler nos manques et pour émerveiller nos vies ternes ?
La prise en compte de la complexité de l’Univers, constitué de deux mondes parallèles, le visible et l’invisible, est le signe de l’intelligence et non pas de naïves croyances. Fétiches africains, amulettes arabes, médailles miraculeuses chrétiennes, prières aux dieux et bénédictions, sont des ponts entre ces deux mondes. Ce sont des méthodes d’intercession auprès des forces invisibles pour agir dans l’univers matériel visible.
Nos sociétés occidentales contemporaines sont orphelines de Dieu et ont perdu la puissance et l’espérance que conférait l’esprit religieux. La matière amputée de l’esprit est sans vie, amorphe et inerte. Quelle énergie nouvelle viendra nous redonner vie et guider nos pas dans ce monde mystérieux et inquiétant ? Nous avons sans doute besoin de renouer avec les forces invisibles et retrouver l’esprit religieux …