851 – L’OGRE OTTOMAN

La Turquie rêve de revanche et veut prendre la tête du monde Musulman, humilié par son destin. La reconstitution de l’Empire Ottoman est en route, grâce aux différents coups de force du président Erdogan, qui marche dans les pas de Soliman le magnifique. L’Europe est sur la touche !…

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le destin de l’Europe lui a échappé des mains. Elle s’est dotée de gouvernements assez fous pour inclure la Turquie au sein de l’OTAN, sous l’égide d’une Amérique qui n’a jamais rien compris aux équilibres géostratégiques.

Des politiciens, ignorants de l’Histoire et des réalités géopolitiques, ont même plaidé ardemment en faveur de cette folle utopie de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne ! Jacques Chirac et Sylvio Berlusconi faisaient partie de ceux qui ont oublié que l’Empire Ottoman s’est opposé à l’Europe pendant cinq siècles ! Comment pouvait-on être aussi aveugle ? Je ne parle même pas de certains leaders de gauche, habitués aux pires aveuglements dont ils sont devenus coutumiers.

Regardez une carte

Nous ne pouvons pas parler de géopolitique sans regarder une carte et, tout d’abord, prendre la mesure de ce que fut jadis l’Empire Ottoman qui s’étendait depuis la Hongrie jusqu’aux plus lointaines rives de la Mer Rouge et depuis l’Algérie jusqu’au Caucase sur les rives de la mer Caspienne !

La Turquie est au centre de ce puzzle de nations dominées par une religion hégémonique et elle était en attente d’un leader qui puisse faire revivre ce leadership perdu depuis le traité de Lausanne signé en 1923.

La Capitale de l’Empire était Constantinople, l’actuel Istanbul, où règne l’ambitieux Recep Erdogan, ami de Donald Trump qui aime les hommes à poigne ! On peut même supposer que le Président Américain, plein de malice, ait trouvé en Erdogan le caillou à glisser dans les chaussures des dirigeants européens…

Mais on ne construit pas les Empires en un jour, il faut la durée, il faut avoir le temps de voir loin devant soi, ce qui est interdit aux démocraties occidentales qui naviguent à vue, au jour le jour, et dont l’unique regard est porté sur la prochaine élection, qui bien souvent conduit à l’alternance. Ceci n’est pas le problème d’Erdogan qui domine le pays depuis près de 20 ans, et pour quelques années encore, malgré une sévère crise économique et monétaire qui rend la diversion encore plus nécessaire…

Poser les bases de la reconquête

Les symboles sont souvent plus puissants que les armes car ils frappent les esprits et conquièrent les âmes. La religion est un symbole et pas un seul empire ne s’est construit sans s’appuyer sur une religion dominante. C’est une réalité que les européens ont voulu ignorer, accélérant ainsi leur décadence.

Erdogan, Président d’un pays théoriquement laïc, a bien compris que la religion musulmane constituait le ciment indispensable pour amalgamer les peuples divers au sein de sa sphère d’influence. Qui, mieux que la Turquie, peut transcender le clivage mortifère entre les sunnites et les chiites ? Qui, mieux que la Turquie, peut porter haut l’étendard de l’islam ?

C’est ainsi que le tacticien Erdogan a posé l’acte fondateur de sa reconquête en transférant au culte musulman la cathédrale chrétienne Sainte Sophie, joyau de l’art byzantin et symbole de l’ancienne Constantinople ! Erdogan sait manier les symboles et n’ignore pas l’importance des cultes et des croyances pour mobiliser les peuples.

Pour affirmer sa puissance, il faut aussi une armée forte afin de pouvoir intimider, dissuader et conquérir. Tous les gouvernants autoritaires le savent : depuis la nuit des temps les peuples ne reconnaissent et n’admirent que la force. Cela doit être inscrit dans nos gènes, cette soumission volontaire au mâle dominant !

C’est dans ce contexte que la Turquie s’arme et a réussi le tour de force d’être appuyée, pour cela, par les États-Unis et la Russie qui rivalisent de bonnes manières pour s’attirer les bonnes grâces du sultan qui sait admirablement jouer la rivalité, devant une Europe muette, immobile, paralysée… et pour tout dire hors-jeu !

Agir tout azimut

Il faut dire que l’actualité a servi à merveille les plans d’Erdogan qui a bien su en profiter. Il avance ses pions pendant que les USA regardent ailleurs, tétanisés à la fois par la crise sanitaire et l’élection présidentielle.

Tout a commencé par l’endiguement des velléités d’autonomie des populations Kurdes dispersés au Nord de l’Irak et de la Syrie. Les Kurdes, principaux combattants des terroristes djihadistes en Irak ont pu mesurer, une nouvelle fois, l’ingratitude des grandes puissances qu’ils ont aidées, à commencer par les américains qui les ont abandonnés à leur triste sort, après s’en être servi de bouclier !

L’intervention de l’armée Turque, avec des supplétifs de salafistes syriens, a profité du retrait américain pour établir un corridor militarisé au nord de l’Irak et de la Syrie et s’y installer.

Les relations turco-syriennes n’ont jamais été excellentes et Erdogan a longtemps travaillé à la chute d’Assad, le protégé de Moscou. Mais Erdogan attend son heure en fédérant les ennemis du régime Syrien et, le moment venu, il cherchera à avancer ses pions à l’est de la Syrie.

C’est en Libye, sur les côtes africaines, qu’intervient désormais la Turquie avec l’aide de mercenaires syriens et en soutenant le gouvernement de Tripoli en échange d’un accord commercial avantageux pour Ankara. Grâce à l’armée Turque, Tripoli a pu contenir la menace du général Haftar qui occupe la partie ouest du pays, soutenu par Moscou.

En Méditerranée orientale, des navires de guerre turcs escortent des bateaux de recherche minière et gazière qui opèrent au large de Chypre et de la Grèce, au milieu de iles grecques. « Lorsque la Turquie, membre de l’OTAN, s’en prend à d’autres membres de l’OTAN, organisation crée et dominée par les Etats-Unis, la Maison Blanche laisse faire. Le gardien a déserté le temple, le gendarme a rendu sa casquette » écrivait Sylvie Kaufman dans Le Monde. Il fallut l’intervention de la France pour que les navires turcs rentrent au port… provisoirement. Les autres pays européens sont restés muets !

Mais l’appétit de l’ogre Erdogan n’est pas rassasié ! Il est allé guerroyer aux marches de l’empire, pour prêter main forte à l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh contre l’Arménie qui a gardé la mémoire du génocide de son peuple par le voisin ottoman en 1915 et 1916. Erdogan, en bon stratège, cherche une ouverture vers la mer Caspienne…

Les drones de la victoire

Le fer de lance de l’armée Turque dans ces attaques éclairs, tout azimut, ce sont des drones d’attaque, l’arme redoutable du troisième millénaire, mis au point par les techniciens turcs avec quelques sous. Pas besoin de chars d’assaut ou d’avions de combat super-sophistiqués et onéreux, de simples drones suffisent pour jeter la pagaille dans les troupes ennemies. Imaginez la terreur que peut générer une volée de drones au-dessus des populations !

Des essaims de drones ont été lâchés en Syrie où ils ont désorganisé la défense aérienne Syrienne et détruits de nombreux blindés. Ils furent également utilisés avec succès contre les combattants Kurdes. La même tactique fut utilisée en Libye où elle réussit à stopper, puis à faire reculer, les troupes du Maréchal Haftar. Enfin, dans le Caucase, les drones turcs ont mis en déroute l’armée Arménienne en quelques jours, mettant la Russie devant le fait accompli.

Je propose que la France demande de l’aide à la Turquie pour venir à bout d’une poignée de combattants djihadistes qui la tient en échec depuis des années au centre de l’Afrique. A moins que « l’allié » Erdogan préfère porter main forte aux terroristes ? L’armée française a-t-elle les bons outils ou bien est-elle, une fois de plus, en retard d’une guerre ?

Ces drones TB2 ont été mis au point par la firme Bayraktar qui a travaillé sur le projet pendant 15 ans, donnant ainsi à la Turquie un avantage tactique énorme et lui donnant de l’autonomie par rapport aux USA et à la Russie. Ajoutez à cela que la fille d’Erdogan a épousé le fils Bayraktar et vous aurez compris toute la stratégie du président Turc. Sans compter les drones kamikaze Kargu dont vient de se doter l’armée turque. Il parait qu’une nouvelle génération de drones sera munie d’un outil de reconnaissance faciale et pourra voler en essaim au-dessus des populations, sans opérateur humain… L’avenir s’annonce merveilleux ! En attendant, gardons nos masques !

Il est probable que d’ici peu, aucun pays européen ne sera en mesure de faire front ou même d’endiguer la puissance militaire turque.

Le maître d’Ankara joue son propre jeu. Face à une Europe totalement paralysée, sans armée, et à une OTAN en « état de mort cérébral » selon les mots du président français, il tient tête à la fois aux Russes et aux Américains. Il est certain que le président Turc n’est pas un ami de l’Europe qu’il considère comme quantité négligeable et que la Turquie n’a rien à faire dans l’OTAN. Il faut, au plus vite, réparer cette funeste erreur historique.

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2 commentaires

  1. Excellent article qui analyse la situation mieux que les politiques. La Turquie veut retrouver son hégémonie passée. J’ignorais l’essaim de drones mais cela complète la panoplie de l’avenir : des armées de robots militaires, des essaims de drones et hélas les humains ciblés et sans défense.

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