1000 – NEANMOINS, DES RAISONS D’ESPERER

La première Chronique-Libre est parue au mois d’Août 2010 et depuis cette date, chaque semaine, j’ai pris beaucoup de plaisir à vous livrer mes réflexions sur le présent et l’avenir de notre société occidentale. En abordant la millième chronique, j’éprouve le besoin de me retourner sur ces treize années et de réfléchir sur la suite…

Ma vision de notre époque n’a pas toujours été en accord avec celle de mes lecteurs et nombreux sont ceux qui m’ont trouvé trop pessimiste. Il est vrai que je suis particulièrement préoccupé par l’avenir de nos démocraties occidentales et que j’observe les nombreux dangers qui semblent s’accumuler pour entraver gravement notre destin.

J’ai assez vécu pour avoir été le témoin de nombreux changements et de quelques bouleversements. J’ai vécu l’enthousiasme de l’après-guerre, l’angoisse de la décolonisation, l’espoir suscité par les « trente glorieuses », ces 30 années d’essor économique continu et l’euphorie de la libération sexuelle. Puis, j’ai connu les périodes de doute à partir des années 80, et enfin, depuis le tournant du siècle, cette prise de conscience du déclin progressif de l’Occident.

Il me paraissait important de regarder en face les diverses causes de ce déclin, qui n’était pas inexorable, mais souvent la résultante de nos propres choix de société et des actions des gouvernements que nous avons élus.

Ma passion a toujours été d’ausculter la société contemporaine, d’en observer le parcours et la direction qu’elle prend pour en déduire une vision d’avenir. J’ai toujours été persuadé que les sociétés sont comme les individus, elles peuvent être malades, elles peuvent être soignées, elles peuvent prendre des mesures préventives, mais aussi, elles peuvent mourir par excès ou par manque de soin.

Néanmoins, je crois qu’il existe des raisons d’espérer et qu’il est possible d’envisager un renouveau, une renaissance. Tout est cycle, et le printemps succède à l’hiver ! J’envisage de poursuivre mes chroniques, avec une tonalité plus ouverte sur un futur plus verdoyant et plus lumineux.

Les mille visages du déclin

C’est ce déclin qui m’a hanté durant ces années et qui présente mille visages que j’ai souvent tenté de disséquer et de partager avec vous. Ce déclin m’obsède car j’observe son aggravation rapide, comme on peut observer, impuissant, un malade qui refuse de se soigner et de corriger sa vie. On le voit dépérir, comme pris dans un tourbillon d’autodestruction.

Je voudrais énumérer une nouvelle fois les principales causes et symptômes du déclin qui nous concerne tous et dont j’ai déjà parlé au fil de mes chroniques. Sans doute, j’en oublierais quantité d’autres, car un déclin est global et peut s’observer à tous les niveaux d’une société. Il s’agit d’une maladie globale, une pulsion de vie qui s’étiole.

Le premier signe, visible et mesurable, est démographique. L’Occident ne fait pas assez d’enfants pour assurer la relève et, plus simplement, pour payer les retraites des ainés. J’ai déjà écrit que l’indice de fécondité en 2023 est en Europe de 1,5 enfant par femme, ce qui est très insuffisant d’autant que cet indice est en baisse constante. L’immigration apportera une autre civilisation…

Il semblerait même que cette pulsion de vie soit parfois remplacée par une pulsion de mort. Je viens de revoir une amie, dont le fils de 20 ans s’est suicidé il y quelques semaines. Cela pourrait être un fait divers affreux, mais sans signification particulière. Or, il se trouve que le pasteur qui a officié pour la cérémonie des obsèques venait de procéder, dans la même semaine, à deux autres obsèques de jeunes qui avaient, eux-aussi, décidés de mourir. N’est-ce pas un symptôme grave ? Aux USA, 120.000 jeunes meurent chaque année sous l’effet des opiacés !

La peur de la maladie atteint dans nos sociétés un niveau alarmant qui traduit un mal-être profond. De ce fait les dépenses de santé atteignent des niveaux stratosphériques, sans qu’aucune mesure sérieuse de prévention ne soit diffusée. Diverses études montrent que les 2/3 des maladies pourraient être évitées avec une bonne alimentation et une meilleure hygiène de vie. C’est le signe d’une société malade. La baisse de l’espérance de vie, qui est apparue il y a quelques années, confirme notre mauvais état sanitaire.

J’ai déjà maintes fois alerté mes lecteurs sur le fait que la pollution chimique constituait désormais une réelle autodestruction car nous sommes collectivement conscients de ses méfaits, y compris en ce qui concerne l’abus de médicaments chimiques. Nous pillons et saccageons la nature jusqu’à notre propre destruction. A titre d’exemple, une étude vient de montrer que 100% des résidents en France on une teneur en bisphénol A très supérieure aux seuils tolérés. Il s’agit d’un perturbateur hormonal qui modifie notre métabolisme et est à l’origine de nombreux désordres, à commencer par le cancer. Il est intéressant de savoir que seulement 7% des Suisses ont un taux supérieur au seuil, ce qui prouve qu’il est possible de prendre des mesures de protection que nombre de gouvernements ne prennent pas.

Ce manque de pulsion de vie se traduit aussi dans le travail qui n’est plus une valeur fondamentale pour l’épanouissement des individus et pour la réalisation personnelle. Au contraire, le travail est de plus en plus considéré comme une contrainte, comme un asservissement dont il conviendrait de se libérer. La perte de sens dans certains métiers se traduit par une baisse drastique des vocations, c’est le cas des enseignants, des militaires et des métiers de la restauration.

La désindustrialisation de l’Europe est un signe majeur de renoncement et de déclin. Aucune des grandes avancées technologiques, depuis un quart de siècle, n’est européenne ! Les dépôts de brevets et les publications scientifiques européennes deviennent rares. L’Europe n’est plus synonyme d’innovation mais de vieillissement.

La baisse continue du niveau scolaire est devenue extrêmement préoccupante et traduit une sorte de renoncement à l’excellence, remplacée par un laxisme généralisé. Ce phénomène est particulièrement criant en France où les dernières données émanant du ministère de l’Éducation Nationale montrent qu’en fin de troisième, seulement 55% des élèves savent lire correctement, tandis que 37,5% ont des difficultés à lire plus d’une page. Par ailleurs, 40% ne parviennent pas à exprimer une opinion, car ils ne maitrisent pas assez bien le langage ! Quand on sait que le langage est le support de la pensée, il y a de quoi être inquiet sur le niveau intellectuel des jeunes générations et donc sur l’avenir du pays. Max Müller écrit ainsi : « Le langage n’est pas seulement le revêtement extérieur de la pensée ; c’en est l’armature interne. Il ne se borne pas à la traduire au-dehors une fois qu’elle est formée ; il sert à la faire ».

Le délitement des mœurs accompagne le laxisme généralisé de notre société post-moderne. Tout est permis et il n’y a plus ni tabou, ni interdit. Plus aucune valeur à laquelle se raccrocher, plus de morale pour servir de guide et chacun fait selon son bon-plaisir. Le bien et le mal, sont comme le beau et le laid des valeurs bourgeoises qu’il est urgent de combattre. Le comble est provisoirement atteint avec le transgenre, la lubie à la mode, qui entend déconstruire le sexe que la nature nous a assigné et dont nous portons la marque jusque dans notre génome personnel !

Dans un autre registre, la stupide guerre en Ukraine, dans laquelle les européens se sont laissé entrainer, risque d’être l’élément déclencheur d’un processus inéluctable qui conduit à une grave crise en Europe. Si la guerre se termine avec les positions actuelles, cela sera interprété comme une victoire pour la Russie et une défaite pour l’Occident. Dans un processus d’auto-sabotage, l’Europe s’est privé des sources d’énergie bon marché. Elle a scié la branche sur laquelle elle était assise en déclenchant sciemment une inflation incontrôlée.

Ce tableau de désolation ne serait pas complet si je ne mentionnais pas le manque de sens qui semble caractériser notre époque moderne. De plus en plus de jeunes semblent manquer de passion et de motivation. Il manque comme un goût de vivre, l’envie de se surpasser. Pour beaucoup, la vie parait plate, sans relief, atone et finalement ennuyeuse, comme s’il lui manquait une dimension. Faut-il rapprocher ce manque d’élan avec la désacralisation de notre société devenue exclusivement profane ? Depuis l’origine de l’humanité, le sacré a servi à donner du sens à la vie. « Les religions ont tenu dans l’histoire une place considérable où les peuples sont venus, de tout temps, puiser l’énergie qui leur était nécessaire pour vivre » remarque Émile Durkheim. Où puisons-nous désormais l’énergie nécessaire pour vivre, depuis que Dieu est mort ?

Les raisons d’espérer

Ce qui semble manquer à notre époque, c’est l’espoir, or c’est l’espoir qui donne sens. Le manque de sens rend notre civilisation désespérée. Comment sortir du marasme dans lequel nous sommes ?

Il semble urgent de réveiller en nous cette notion du sacré et, pour paraphraser Durkheim, « on sait quel abime sépare le monde sacré du monde profane ». Hélas, le sacré ne se décrète pas, il est un fruit qui a mis longtemps à murir au sein d’une société. Aujourd’hui, le profane occupe toute la place, nous sommes fascinés par les prouesses de la technique dans laquelle nous semblons avoir perdu notre âme.

Malgré ces prouesses merveilleuses, la technique ne parvient pas à enthousiasmer nos esprits comme pouvaient le faire les merveilles créées par les dieux ! Où trouver ce supplément d’âme qui nous manque ?

On peut trouver dans la nature des merveilles qui nous enchantent infiniment plus que les plus belles prouesses de la technologie. La beauté de la nature, mais aussi l’extrême perfectionnement de ses rouages, peuvent réveiller en nous cette notion du sacré. L’émerveillement, devant le miracle de la vie, ou l’émerveillement devant l’infini du cosmos nous rapproche du sacré…

L’homme s’est pris pour Dieu, mais ses plus belles prouesses technologiques ne parviennent pas au niveau de l’extraordinaire beauté de la nature, une œuvre grandiose que les humains chercheront toujours à imiter sans jamais en atteindre la perfection, dans ses moindres détails. C’est peut-être en contemplant la nature que les humains ont ressenti la notion de sacré pour la première fois. L’amour de la nature peut nous redonner espoir pour continuer à vivre heureux et en harmonie.

Tagore parlait déjà « du suicide de l’âme ». Il nous appartient de redonner du souffle à notre âme. Nous ne sommes pas que des techniciens ingénieux et habiles, créateurs de profits, nous devons aussi être des citoyens réfléchis, au service de la société humaine. Il nous appartient, à chacun, de réinventer le monde, d’y cultiver les plus belles valeurs qui nous viennent du fond des âges.

Il convient, sans doute, d’accepter la part de mystère qui demeure lorsque l’on cherche à connaitre les raisons et les causes qui ont fait de nous ce que nous sommes. C’est ce mystère qui a généré le sacré, a nourri notre imaginaire, et nous a donné des raisons de vivre. A une époque où l’intelligence artificielle approche l’intelligence et la conscience humaines, il devient urgent de réfléchir à ce que l’humanité possède de spécifique et de sacré.

Nous devons prendre conscience que nous sommes maitres de notre destin. L’Histoire nous a amplement appris que les mauvais choix conduisent inéluctablement au déclin, individuel ou collectif. Chacun de nous doit donc œuvrer pour faire de bons choix, bénéfiques pour soi et pour les autres. Si on y prend soin, une société peut guérir, mais elle peut aussi mourir si on la laisse dépérir… Seule une forte détermination peut justifier nos raisons d’espérer !

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