1011 – L’OCCIDENT, DONNEUR DE LEçONS

L’Occident est en fin de règne et se croit encore le maitre du monde. Il donne des leçons aux autres nations et croit que son système démocratique est un modèle à suivre. Il prétend que son succès économique et sa force militaire lui donnent autorité pour imposer sa vision du monde.

Dans les années qui viennent, nous allons assister à un bouleversement géopolitique qui va redistribuer les cartes. On en sent venir les prémices et, depuis plusieurs années, mes chroniques annoncent la marche inexorable de l’histoire. Nous savons que les empires déclinent et disparaissent…

Ma tâche consiste à tenter de discerner les grandes lignes de force qui mettent en mouvement le sens de l’histoire et de proposer ma vision du futur. Mais rien n’étant jamais inexorable, il est important de discerner les écueils devant nous, afin de les éviter, si possible.

Comme dit le bon sens populaire, « rien n’échoue mieux que le succès ». L’Occident domine le monde depuis un millénaire, disons depuis l’an 1054 au moment du grand schisme entre les Églises d’Orient et d’Occident. Il demeure le plus puissant, économiquement et militairement, pour encore quelque temps. Pourtant, nombreux sont ceux qui se croient invincibles pour l’éternité et un modèle à suivre pour le reste du monde…

Selon l’anthropologue Maurice Godelier, « la démocratie est l’un des trois traits principaux permettant de définir l’Occident, avec le capitalisme et le christianisme ». La démocratie se porte mal, le christianisme est en voie d’extinction et le capitalisme est désormais le système partagé par l’ensemble des nations. Autrement dit, l’Occident n’a plus de valeurs spécifiques à défendre…

Modèle démocratique

La main sur le cœur, les occidentaux sont persuadés qu’ils détiennent le meilleur système politique et que leur mission consiste à l’imposer, de gré ou de force, aux autres nations.

Sur le papier, la démocratie a bien des vertus, mais dans la réalité nous constatons tous les jours combien elle peut être pervertie. Ses défenseurs l’opposent toujours aux dictatures sanguinaires, comme s’il n’existait pas de systèmes intermédiaires !

La démocratie est une pratique relativement récente. Les démocraties Athéniennes ou Romaines étaient réservées à certains citoyens seulement et sont difficilement comparables à nos démocraties modernes. On peut remarquer cependant qu’elles se sont abimées, l’une et l’autre, dans la dictature !

Notre modèle démocratique est confronté à deux écueils sur lesquels il risque de s’échouer. D’une part, il est sans cesse tenté par les promesses démagogiques des prétendants à gouverner, ce qui l’affaiblit ; d’autre part, il trahit les électeurs et les manipule en faisant des choix contraires à leurs vœux.

En un mot, il est facile d’être élu sur des promesses mensongères et ensuite de gouverner à sa guise, contre le peuple, et aux profits des lobbies. Le recours fréquent au référendum, qui permettrait une vraie démocratie, est refusé, comme les Français viennent d’en faire l’expérience amère. Ainsi, nos démocraties sont sans cesse perverties et nous vivons dans une illusion démocratique.

Même les élections peuvent être truquées, comme il advint en France il y a quelques années. Le candidat, favori des sondages, dut se retirer lors d’un coup-monté, sous les assauts des media et d’une pseudo justice.

C’est ainsi que le peuple se lasse de cette illusion démocratique dans laquelle il se sent trompé et trahi. Il peut finir dans le désarroi et le chaos, ou par confier son destin à une dictature… pas toujours « éclairée » ! Est-ce cela le modèle que l’Occident voudrait imposer urbi et orbi ? (Relire la chronique 992 « La démocratie est-elle une illusion ? »)

Une vision colonialiste

D’une façon générale, les occidentaux veulent imposer leur modèle et leur vision du monde à la planète entière. Cette attitude arrogante est de plus en plus mal vécue par quantité de pays, en Asie et en Afrique, qui furent des colonies d’un pays occidental.

Les temps changent, mais les anciens maitres se conduisent encore comme il y a un siècle et ne parviennent pas à abandonner leur vision colonialiste du monde. C’est ainsi qu’ils se coupent de la majorité des pays qui ne veulent plus de leur diktat. Les voyages d’Emmanuel Macron en Afrique qui, à chaque fois, frôlent l’incident diplomatique sont un exemple parfait de cette arrogance néocoloniale !

Mais, « ils devraient cesser de donner des leçons de justice et de démocratie à la terre entière, alors même qu’ils sont souvent prêts à pactiser avec les pires potentats et les fortunes les plus douteuses », écrivait récemment Thomas Piketty.

En réaction, il s’est créé une association de pays émergents qui refusent le modèle occidental et veulent leur revanche sur l’histoire. La Chine et la Russie savent très bien utiliser notre point faible pour regrouper autour d’eux l’ensemble des pays qui gardent un ressentiment anti-occidental. La position de l’Occident dans le conflit Ukrainien et à Gaza accentue cette coupure.

Ces pays se regroupent sous l’acronyme BRICS et pèsent lourd : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. L’Inde, à elle seule, compte davantage d’électeurs que tous les pays occidentaux réunis !

D’autres pays vont rentrer dans cette association politico-économique, dominée de la tête et des épaules par la Chine. En 2024, Arabie saoudite, Argentine, Égypte, Émirats Arabes Unis, Éthiopie, Iran. Puis en 2025, c’est le Pakistan qui est déjà prévu. Autant dire que les BRICS vont désormais peser très lourd pour faire contre-poids à un Occident qui a perdu ses repères.

Les signes du déclin

On est toujours aveugle face à ses propres insuffisances et faiblesses. Ainsi en est-il des occidentaux qui contemplent leur richesse d’hier et d’aujourd’hui mais ne discernent pas les énormes changements géopolitiques à l’œuvre.

Le premier paramètre, et sans doute le plus important, est d’ordre démographique. Les pays occidentaux ne pèsent plus que 15% de la population mondiale et, à la fin du siècle, l’Afrique en représentera 40%. Les occidentaux sont victimes de leur opulence et rechignent à faire des enfants. D’ores et déjà, les baby-boomers partent à la retraite et les compétences manquent pour les remplacer. Le manque de main-d’œuvre devient problématique dans de nombreux pays.

Comme le disait récemment une responsable de l’économie Allemande : « L’Allemagne n’est pas l’homme malade de l’Europe, c’est l’homme vieillissant de l’Europe ». Tout est dit et le phénomène touche toutes les nations européennes à des degrés divers.

Selon un spécialiste, la charge financière du système de retraite sur les jeunes générations pourrait devenir insupportable et atteindre, dans quelques années, 25% du salaire. En effet, « la génération née autour de 1960 est presque deux fois plus nombreuse que les moins de 20 ans ».

Trois alternatives complémentaires seront indispensables pour y remédier :

  • Allonger la durée du travail hebdomadaire et repousser l’âge de la retraite
  • Miser sur l’automatisation, la numérisation et l’intelligence artificielle
  • Délocaliser les industries dans des pays où la démographie est plus dynamique
  • Favoriser l’immigration à partir du principal réservoir encore disponible : l’Afrique

L’autre paramètre qui symbolise à lui seul le déclin de l’Occident est d’ordre comportemental. Il s’agit de l’augmentation exponentielle de la consommation de drogues, de la violence et de l’ampleur prise par les mouvements LGBT. On peut y voir un signe d’autodestruction d’une société en mal d’être et en manque de repères.

« La guerre contre la drogue menée depuis la fin du XXème siècle n’a pas su enrayer le développement du narcotrafic, qui semble plus puissant que jamais. La France doit revoir sa doctrine, au risque de voir la situation dégénérée comme aux Etats-Unis, avec la crise des opioïdes », alerte un spécialiste.

J’ai déjà abordé ce dernier fléau dans une récente chronique : 1007 « Les béquilles chimiques ».

Enfin, la dette gigantesque qui pèse sur les épaules des citoyens de l’Ouest sera peut-être le facteur déclenchant qui les précipitera soudain dans le dénuement le plus extrême. Nous sommes dans un équilibre instable et le moindre doute sur la capacité financière d’un grand pays peut entrainer les autres dans le précipice.

A titre d’exemple, la France est sur la corde raide et vient d’échapper de justesse à une dégradation de sa note par les agences de notation. Sa dette dépasse déjà 3.000 milliards d’euros auxquels vont s’ajouter 285 milliards au titre de l’année 2024, pulvérisant ainsi les records des déficits budgétaires annuels ! « Près de la moitié de son budget est désormais financée par des emprunts sur les marchés » annonce un expert.

Le grand basculement

On peut considérer que l’année 2023 sera la date retenue par les futurs historiens comme celle du grand basculement et le début de la débâcle de l’Occident, à commencer par celle de l’Europe. « L’Ukraine et la Palestine risquent de leur faire perdre le respect d’eux-mêmes et le respect des autres » affirme Jean-Marie Guéhenno, ancien secrétaire des Nations unies.

Il poursuit : « l’appui sans réserve de beaucoup d’Européens à la riposte Israélienne conduit précisément à ranimer l’hostilité de tous ceux qui ont eu à souffrir du colonialisme, qui voient dans la création d’Israël une entreprise de nature coloniale… Il renforce le doute du Sud global sur la vraie nature de l’universalisme européen. »

Qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de Gaza, la très grande majorité des pays du Sud ont refusé de dénoncer un agresseur. Ces conflits dans lesquels l’Occident a pris parti pour l’un des camps, contre l’autre, conduisent à l’isoler du reste du monde. Cependant, il existe une dynamique des pays du Sud qui veulent affirmer leur identité.

Parmi les griefs à l’encontre de l’Occident, il y a « la détestation d’un certain entre-soi occidental dont l’OTAN est la quintessence, et aussi la volonté d’accéder enfin à la gouvernance du monde », ajoute Guéhenno. Mais l’OTAN se montre incapable de repousser l’avancée Russe en Ukraine, sa défaite sera le début de la déroute de l’Occident.

C’est la raison pour laquelle les pays du Sud ont refusé d’appliquer des sanctions à la Russie et, pour les mêmes raisons, ils renvoient dos-à-dos les exactions du Hamas et celles d’Israël. L’Occident est encore craint, mais il n’est plus respecté et il n’est plus un modèle à suivre…

Conclusion

L’Occident demeure un modèle économique pour les pays du Sud global, moins développés. Sur ce point il conserve son attrait, comme en atteste les masses migratoires en marche, aussi bien aux USA qu’en Europe.

Néanmoins, l’Occident n’est plus porteur de valeurs mobilisatrices et nous assistons à une dé-occidentalisation du reste du monde qui ne se reconnait pas dans ce modèle.

Dans ce contexte l’Europe, qui regroupe toutes les puissances coloniales de jadis, apparait particulièrement vulnérable. L’Union Européenne n’a pas d’institutions assez fortes pour surmonter ses doutes.

Les Etats-Unis peuvent profiter de l’affaiblissement de l’Europe pour assoir leur leadership sur le monde occidental. Mais, à terme, leur autorité sera de plus en plus contestée par les pays du Sud global qui ne cessent de prendre du poids. L’usage des armes ne sera pas toujours suffisant !

La défaite de l’OTAN en Ukraine pourrait mettre en marche le grand basculement…

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