L’homme peut-il se suffire à lui-même ? Peut-il se passer de transcendance et accepter de n’être finalement qu’un animal parmi les autres, un algorithme biologique privé d’âme ?
Depuis l’aube de l’humanité, l’homme s’est interrogé sur les mystères de la vie, sur son origine et son destin. Pour tenter de mettre un peu de cohérence dans cette vie si mystérieuse, il s’est dit qu’il doit bien y avoir quelques divinités qui président à tout cela…
Le besoin de religion
Pour échapper aux angoisses existentielles, il fallait l’intervention des dieux afin que l’univers et la vie aient un sens. Jung considérait que la fonction religieuse était constitutive de l’inconscient humain et donc inséparable de notre destinée.
On peut en effet poser l’hypothèse que le processus évolutif dota Homo sapiens d’un psychisme extrêmement complexe et, surtout, d’une conscience de soi spécifique de l’espèce humaine. Face à cette lucidité porteuse d’angoisse, l’idée de Dieu éclairait son destin et lui donnait un sens. Dit autrement, Dieu était essentiel à la survie de l’humanité pour la protéger de l’angoisse du néant.
L’idée de Dieu avait besoin d’être pensée, d’être mise en image et en mots pour assurer la cohésion du groupe. Ce fut l’origine des religions qui apportèrent des rites sacrés, des prières communes et des célébrations pour honorer et apaiser ces dieux, tantôt courroucés, tantôt bienveillants.
Des hommes furent chargés de gérer ces cérémonies sacrées, des prêtres furent ainsi les garants des rites et devinrent les intermédiaires entre les hommes et les dieux. La fonction de ces prêtres devint elle-même sacrée, en même temps qu’ils acquéraient du pouvoir.
Plus tard, les dieux ne furent plus qu’Un. Les trois grandes religions monothéistes édictèrent des dogmes pour marquer chacune leurs territoires. Elles devinrent intolérantes et totalitaires. Au fil des siècles elles se livrèrent, et se livrent encore, à des guerres féroces pour le pouvoir et l’influence sur la domination des peuples.
La mort de Dieu
Puis vint la science qui, en occident, apporta une nouvelle vision du monde. Elle décrypta le fonctionnement de l’univers depuis son origine, la constitution de la matière et les mécanismes de la vie.
L’univers a donc perdu ses mystères… La science avait pour objectif de tout expliquer selon le mécanisme de cause à effet. Le monde devint désenchanté lorsque le Big-Bang fut considéré comme l’origine de tout, et la main de Dieu ne figurait pas dans les équations.
Les philosophes conclurent que l’homme n’était rien d’autre que le siège de milliards de molécules qui s’entrechoquent, selon un programme hérité de la sélection naturelle. La vie ne serait donc que matière, issue du hasard et de la nécessité. La vie humaine perdait ainsi son caractère sacré !
Dieu devint inutile pour rendre compte de ce qui est, la science prétendant avoir réponse à tout. Nietzche pouvait annoncer « la mort de Dieu ».
L’homme, sans transcendance, est devenu telle une machine mue par des algorithmes. Il est de passage sur cette terre, sans passé et sans futur, dans l’attente angoissante du néant.
Les sociétés modernes se sont donc mises à pourchasser Dieu et tout ce qui pourrait, de près ou de loin, rappeler les religions, considérées désormais comme des croyances archaïques et des superstitions. Même la crèche de Noël, si chère aux chrétiens, fut bannie par des fonctionnaires zélés, chiens de garde de ce qu’ils nomment la laïcité.
L’homme Dieu
Toutefois, sans religion, les hommes ne sont plus reliés ! Ils sont devenus des individualistes dans le culte d’eux-mêmes. Les religions traditionnelles ont été remplacées par une nouvelle religion, « l’humanisme libéral », installant l’homme, égotiste et narcissique, au centre d’un univers à sa dévotion, à la place de Dieu.
Avec la notion de Dieu, le bien et le mal étaient assez clairement délimités. Mais si nous ne sommes qu’un algorithme biologique, sans finalité et sans transcendance, il nous faut réinventer une morale. Homo sapiens devient la référence. Tout ce qui nous fait plaisir individuellement est le bien suprême. Tout ce qui nous fait souffrir ou nous procure du déplaisir, à nous même ou à autrui, est dorénavant le seul « mal ».
La mort de l’humanité
Mais si l’homme n’est rien de plus qu’un algorithme biologique, il sera dépassé demain par des algorithmes électroniques, plus puissants, plus rapides, plus performants, non conscients, mais hautement intelligents. Ils nous connaitront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes et ils nous gouverneront.
Nous risquons alors d’être bien embarrassés par le fardeau de la conscience de soi, pourvoyeuse d’émotions bien difficiles à gérer. Nous serons des algorithmes obsolètes, inutiles, dépossédés et livrés à l’angoisse du néant…
Pour la première fois nous expérimenterons la vision du grand tout, dans un monde interconnecté. Les gens et les choses feront partie du réseau planétaire, s’échangeant en permanence des données. Il n’y aura pas d’existence possible hors du réseau. Nous deviendrons « un ». La religion qui nous reliera sera celle du flux de données !
Bien entendu, rien n’est écrit, l’avenir est ouvert, c’est encore à nous d’en décider, avant qu’il ne soit trop tard…
Tout cela est très bien expliqué dans un livre remarquable que tout citoyen éclairé devrait lire : « Homo Deus » de Yuval Harari. Vous y trouverez le panorama grandiose de l’histoire de la modernité, depuis la mort de Dieu, jusqu’à la mort de l’homme. C’est un livre brillant, lucide et facile à lire. Demeure cependant cette question fondamentale : la vie est-elle autre chose qu’un algorithme ? Profitez de la période des fêtes pour poser cette question en famille…
Nous pouvons aussi nous interroger sur l’utilité de la conscience dont nous sommes si bien pourvus et ce qu’elle signifie sur le plan de l’évolution. Cela sera l’objet d’une prochaine chronique. Restez à l’écoute…