Je vais vous conter une histoire tirée d’une légende qui se raconte dans la savane : donc, bien évidemment, toute ressemblance avec des personnes ou des situations semblables ne serait que le fruit du hasard …
Un jour, lors d’une promenade sur ses jambes solides, mademoiselle Rhinocéros décida de se marier. L’âge avançait, elle avait bien profité de sa liberté, jouissant de ses longs bains dans la rivière, de ses douces siestes au soleil et du partage avec ses congénères.
Car, socialement, mademoiselle Rhinocéros était très entourée et tout le monde l’appelait «Rhiry».Elle se mêlait souvent de la politique du troupeau, et barrissait bruyamment lorsque l’on ne l’écoutait pas. C’est ainsi qu’elle se fit la réputation d’être une Rhinocéros … un peu féroce … lorsque l’on lui résistait. Les mâles se méfiaient donc …

Certains se sont frottés à cette demoiselle, essayant de dominer cette femelle agressive, et y ont laissé quelques morceaux de peaux. Ils ont donc fuit très vite, abandonnant la demoiselle à ses rêves de domination. Ils se tournèrent vers des femelles plus douces qui leur permettaient d’épanouir leur virilité sans risquer de la perdre.
Bref, le temps passait et Rhiry n’était toujours pas mariée, ni n’avait enfanté. Il était temps …
Tous les mâles du troupeau lui étant désormais hostiles, elle décida d’orienter ses recherches vers d’autres mammifères. Sa taille, et son mode de vie, lui était un problème : aucun cougar, lion ou panthère ne voudrait d’elle, c’est sûr ! Un buffle peut-être ? Mais il y en avait peu dans les environs. Girafes ? Trop fines, trop hautes ! Elle paraîtrait vraiment disgracieuse à ses côtés. Et … un éléphant ? Oui, un bel éléphant bien puissant : ce serait tout de même stimulant de le voir se rouler dans la boue devant elle pour lui prouver son amour. Vous imaginez ? Une demoiselle Rhinocéros faisant plier un éléphant devant elle ?
L’idée la séduit et les éléphants étaient assez nombreux dans cette partie de la savane pour espérer en «pêcher» un. Mais, bon, normalement ils se marient entre eux ! Comment faire ? Rhiry sortit donc de sa mare et partit en quête d’un troupeau d’éléphants. «Nous aviserons sur place», pensait-elle.
Dandinant son gros derrière, sa corne fièrement dressée, Rhiry avançait doucement, l’odorat et l’ouïe en alerte. Tout à coup elle sent la terre vibrer et une forte odeur lui chatouille les narines : un troupeau d’éléphants se rapproche. Elle se cache derrière un buisson et attend : elle a décidé d’observer et de se faire une idée.
Il s’agit d’un troupeau de mâles (cela tombe bien !) : quelques jeunes autour de trois éléphants plus âgés. Ils semblent calmes et mangent les feuilles des arbres. Mais, tout à coup, l’oeil de Rhiry tombe sur un jeune éléphant solitaire qui semble suivre le troupeau de loin. Un éléphant solitaire est bien plus facile à séduire qu’au milieu d’un troupeau de mâles solidaires ! Surtout pour une demoiselle Rhinocéros … Car, il est vrai, ce n’est pas banal. Comment faire ? Rhiry décide d’employer les mêmes tactiques qu’elle utilise avec ses congénères. Un mâle est un mâle, n’est-ce pas ?
Elle s’approche donc de lui en ondulant de la croupe et en le fixant dans les yeux avec un air langoureux. Le pauvre éléphant en est tout troublé ! Que lui veut cette demoiselle rhinocéros ? Il regarde autour de lui, devant et derrière, cherchant quel animal a séduit ainsi la demoiselle. Mais il n’y a que lui …

Lui, Monsieur Eléphant, que tout le monde appelle «Phanphan». Lui qui doute de lui, se trouvant bien trop gros, même pour un éléphant. Lui qui n’ose jamais s’imposer aux éléphantes, même à celles qu’il trouve élégantes. Lui qui vit seul depuis si longtemps qu’il rêve de pouvoir, enfin, se marier et d’avoir des petits. Des petits éléphantaux qu’il aimerait tellement fort !
Bref, Phanphan est charmant mais d’une navrante naïveté : il ne sait jamais démêler le vrai du faux et ses émotions sont tellement fortes que, bien souvent, elles l’emportent sur les rives de l’irrationalité. Il perd alors tout son bon sens …La preuve, il est tellement flatté, et troublé, par les avances de Rhiry qu’il en oublie illico qu’elle n’est point éléphante mais rhinocéros. Il oublie que leurs langages sont différents, leurs attentes et leurs valeurs également.
Et Rhiry jubile ! Elle a enfin trouvé un mâle qui ne la connaît pas et qui semble timide et docile. Elle va pouvoir prendre les rennes et diriger Phanphan comme elle l’entend. Bien sûr, ils communiquent comme ils le peuvent mais -forcément- jamais profondément. Elle lui siffle des mots doux entrecoupés d’ordres impératifs. «Avec moi tu ne seras plus jamais seul, Phanphan, mais tu dois faire tout ce que je te dis».Phanphan se laisse prendre par la trompe et suit Rhiry qui se rit un peu de lui. Il est tellement docile, l’imbécile !
Mais … sa famille, ses frères éléphants, ouvrent des yeux effarés : comment Phanphan peut il vivre avec une rhinocéros, ils sont trop différents ! Ils mettent en garde Phanphan : quel bébé peut-il naître de l’union de deux races si différentes ? Et cette Rhiry, pourquoi refuse-t’elle de les rencontrer, de venir jouer et rire avec eux ? Car Rhiry veut bien s’unir à Phanphan mais, comme elle-même l’a fait en quittant son troupeau, elle exige de lui qu’il quitte les siens. Elle se sent bien de mener Phanphan par le bout de la trompe mais se rend bien compte qu’elle ne ferait pas le poids au milieu d’un troupeau d’éléphants !
Rhiry va donc trop loin dans ses exigences : elle a sous-estimé l’affection que les éléphants se portent entre eux. Comme les humains, ce sont des êtres sensibles et affectueux. Ils ont besoin les uns des autres pour vivre heureux. Aussi Phanphan, au bout d’un temps, ne peut plus supporter cet isolement. Il a besoin des siens : pour parler sa langue, pour partager ses valeurs, pour rire des mêmes choses.
Mais Rhiry ne veut rien entendre : ce sera eux ou moi. «Me laisserais-tu, moi pauvre rhinocéros, qui a tout quitté pour toi ?». Phanphan a déjà oublié qu’il n’a rien demandé ! C’est un être touchant, sensible et protecteur. Il voudrait tellement que Rhiry soit heureuse : mais quoiqu’il fasse, rien n’y fait. Rhiry voudrait faire de lui un rhinocéros alors qu’il est éléphant ! Ils en viennent aux menaces et aux grimaces. Ils pleurent, se battent, se chassent. Rien n’y fait : Rhiry ne veut pas quitter sa proie ! «Il est à moi !».
Alors, un jour, Phanphan fatigué et perclus par les bleus que son coeur endosse, décide de reprendre sa liberté. Il ne peut plus vivre séparé des siens … Il est un éléphant élégant : il tente de lui parler avec douceur, du bonheur qu’ils retrouveraient chacun en étant parmi les leurs. Rhiry n’en croit pas ses oreilles : Phanphan ne veut plus obéïr, il remue ses oreilles et barrit fortement. Il se rend compte alors qu’il n’est pas rhinocéros mais qu’il a la force du roi des animaux : il est un éléphant.
Rhiry ne rit plus. Elle se roule dans la boue, barrit et charge sur tout ce qui l’entoure : buissons et petits arbres sont arrachés dans la journée. Elle crache et siffle mais rien n’émeut plus Phanphan : il a retrouvé son port de roi et il ne craint plus rien d’une demoiselle rhinocéros …
Epilogue :
Rhiry repartit retrouver son troupeau et son coeur s’adoucit devant l’accueil qu’il lui fît : elle se sentit revivre, là, au milieu des siens et elle comprit alors qu’aucune rhinocéros ne pourrait vivre en paix avec un éléphant … Quant à Phanphan, lui aussi reprit contact avec son clan et il rencontra un jour une belle éléphante aux oreilles gracieuses et à la trompe audacieuse : ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’éléphantaux !
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