167 – A QUI ÊTES-VOUS IDENTIFIÉS ?

Nous nous construisons grâce à des modèles auxquels nous voudrions ressembler ou des contre modèles auxquels nous voudrions éviter de ressembler. Ce processus de modélisation est en grande partie inconsciente, mais commence dès le plus jeune âge et se perpétue toute notre vie. Il est fascinant de décrypter nos modèles d’identification et ceux des autres afin de mieux se comprendre.

A tous les niveaux de notre personnalité nous avons divers modèles d’identification qui varient suivant le caractère et les goûts de chacun. Les premiers modèles d’identification sont naturellement les parents. Dans les familles harmonieuses, il va de soi que le petit garçon s’identifie à papa et la petite fille à maman. Cette identification extrêmement précoce dans la vie est primordiale pour le développement ultérieur de la personnalité et, en particulier, pour le développement sexuel. Nous y reviendrons plus bas. Au cours de la vie nous rencontrons bien d’autres modèles que nous cherchons à modéliser. Ce modèle peut être dans la famille ou en dehors de la famille. Il peut s’agir d’un professeur, des parents d’amis, d’un patron, d’un leader charismatique ou même d’un homme politique.

Je le répète, nous ne sommes pas nécessairement conscients de nos modèles. Mais nous pouvons les identifier en se posant la question de savoir qui nous avons admiré dans la vie, à des degrés divers. Une autre façon de savoir consiste à se souvenir des métiers que l’on voulait faire lorsque nous étions adolescents. Il est certain que ce n’est pas la même chose d’être identifié à mère Térésa ou à Marilyn Monroe ! Cela traduit des caractères différents et le destin de l’une ou de l’autre ne sera pas le même. Naturellement, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées car nous avons souvent de multiples modèles d’identification, c’est pourquoi nous sommes complexes. Le cinéma est une source inépuisable de modèles d’identification et c’est un jeu que nous avons tous pratiqué qui consiste à demander à chacun quels sont ses acteurs et actrices préférés.

Nous pouvons aussi nous identifier à un milieu social, à un clan, à une patrie ou même à une idéologie. Tout cela est plus abstrait et aussi plus insidieux comme on peut le voir avec l’identification aux marques, très en vogue à notre époque. Quand nous achetons une voiture nous ne faisons pas du tout un choix rationnel, malgré parfois les apparences, nous répondons à une motivation pour ressembler à un modèle souvent inconscient. Ainsi, lorsqu’un citadin achète un impressionnant 4×4 tout terrain, il cherche à s’identifier à quelqu’un qu’il n’est pas mais qu’il aurait aimé être : un baroudeur aventurier épris de liberté. La mode joue avec nos modèles d’identification pour présenter les objets de luxe. D’une certaine façon, nous croyons avoir pris de la valeur, si nous portons une montre Rolex, symbole de la réussite sociale. Boire le même café que Georges Clooney c’est un peu lui ressembler et, virtuellement, avoir le même succès auprès des femmes.

Le processus d’identification est à la fois un stimulant formidable pour construire notre personnalité de façon positive, mais cela peut aussi être un puissant outil de destruction si l’on s’identifie à un chanteur drogué et mortifère. Le risque est aussi de se construire une vie virtuelle en s’identifiant à un modèle que nous ne pouvons pas imiter. Se prendre pour une star, en portant les mêmes vêtements qu’elle, ne suffit pas pour avoir du talent et devenir célèbre. Acheter une montre Rolex, signe de richesse, ne signifie pas que nous sommes riches, mais cela peut nous inciter à dépenser « comme si », nous étions riche. Se promener avec un sac Vuitton, c’est s’approprier une parcelle du prestige de cette marque. C’est pourquoi les marques de luxe sont en vogue et aussi parce que nous sommes de plus en plus identifiés au paraître. Nous existons moins à travers qui nous sommes et davantage à travers notre apparence.

Revenons un instant sur le processus d’identification sexuelle, à la base de notre sexualité. J’ai récemment rédigé une chronique sur l’homosexualité qui n’a pas été comprise par tout le monde (155 – NARCISSE ET SON ALTER EGO ). J’ai développé l’idée que l’homosexualité n’était pas une prédestination plus ou moins génétique, mais était en fait culturelle, et elle se met en place en même temps que la personnalité par un processus d’identification. Il peut arriver en effet que, pour une raison ou pour une autre, l’enfant ne puisse ou ne veuille pas s’identifier au parent du même sexe. On imagine le conflit sexuel inconscient que cela génère ! Prenons l’exemple du petit garçon au caractère sensible qui se trouve face à un père violent, brutal et grossier qui terrorise un peu tout le monde dans la famille, à commencer par la mère. Le petit garçon ne pourra pas s’identifier à ce père qui lui fait peur et il se mettra à l’abri dans les jupons de sa mère qui le protègera. Le lien psychologique inconscient très fort qui lie chaque enfant à sa mère ne pourra pas être rompu ; on dit que, symboliquement, le cordon ombilical ne peut être coupé. Ce garçon ne sera pas identifié à son sexe, s’il n’a pas trouvé sur son chemin d’autres figures masculines auxquelles s’identifier. Dans ces conditions, il aura toujours un doute profond sur son identité et peut devenir homosexuel.

Nous pouvons aussi nous interroger sur les raisons pour lesquelles l’homosexualité est si répandue à notre époque. Parmi ces raisons nous pouvons suggérer que, d’une part un grand nombre de mères élèvent seules leurs enfants et, d’autre part, dans certaines familles, la mère est devenue toute puissante et a pris la place traditionnelle de l’homme, ce qui entraîne une sorte d’incertitude au niveau de l’identité du père et de la mère.

Nous avons constaté que le processus d’identification était primordial pour la construction des divers facettes de la personnalité. Nous sommes la résultante de la somme de toutes nos identifications successives. Connaître nos modèles, c’est mieux comprendre qui nous sommes. On dit qu’un bon employé est celui qui s’identifie au patron. Un bon patron est celui qui s’identifie à un chevalier protecteur. Un bon soldat s’identifie à un héros. Un bon élève s’identifie au maître. Et si vous voulez faire de la politique, il vaut mieux être identifié à de Gaulle qu’à Néron !

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3 commentaires

  1. Je pense que le processus est plus complexe que cela, tout en étant bien d’accord qu’il est nécessaire à la construction de la personnalité.
    Ainsi, il me semble que le mécanisme identitaire n’est pas aussi linéaire qu’écrit dans cette chronique: l’identification permet de donner forme à des caractéristiques et attributs en potentialité chez nous. Cela rejoint bien-entendu la notion d’archétype de Jung: c’est en puisant dans les grands modèles collectifs que le chemin vers le Soi peut se faire.
    Mais ce que tu appelles identification relève dans certains cas plus du mécanisme de projection.
    Reprenons l’exemple du jeune “s’identifiant” à un chanteur auto-destructeur par exemple. Dans ce cas, et en général à mon avis, c’est bien des mécanismes de projection qui sont en oeuvre: l’adolescent va projeter sur cette figure publique ses propres pulsions d’auto-destruction. C’est un moyen psychologique de les mettre à distance de lui, de les extérioriser. Ce faisant, la construction identitaire peut trouver un équilibre. Cela peut certes sembler paradoxal, j’en conviens ! A y regarder de plus près, très peu finalement se sont “identifiés” à ce chanteur. En prenant la peine de discuter avec ce même adolescent, on se rendra compte qu’il a d’autres figures identificatrices bien plus positives !
    Le problème viendra surtout si d’autres figures archétypales ne sont pas présentes pour contrebalancer. Tout est question d’équilibre…

  2. Pour répondre à Sébastien, je dirais que le processus d’identification passe par une projection. A mon avis, il n’y a pas lieu d’opposer ces deux termes. Bien entendu, au cours de notre vie nous avons de nombreuses occasions de nous identifier à tel ou tel. Nous sommes le résultat de toutes ces identifications. L’identification sexuelle, quant à elle, se fait très tôt dans la vie.

  3. Il est certain que la maturité passe aussi de l’identification à certains repères plus ou moins “positif”, ou du désir conscient et/ou inconscient de ne pas correspondre à des images dévalorisées, à une conscience plus approfondie de ce que nous sommes réellement.

    J’aime personnellement l’acception bouddhique de “véritable soi”, que Karl Gustav Jung a d’ailleurs repris. Le processus d’individuation (dont il parle) passe aussi par ce chemin d’approfondissement intérieur, initiatique, en conscience. Il nous permet de nous re-découvrir, corps-esprit, tel qu’en nous même, en écoutant notre cœur, tout en trouvant dans la vie, dans les autres, des miroirs de ce que nous sommes, révélateurs de notre potentiel, ou de ce que dont nous avons besoin de nous distancier. Ce sans donc rejeter ce regard intérieur, cette observation du cœur et notre capacité de choix, dans la liberté d’être véritablement nous-même.

    La rencontre avec un, ou des maîtres d’un enseignement de vie permet non pas l’identification à celui-ci, mais la possibilité de s’appuyer sur des repères et d’expérimenter l’enseignement, en vue de se l’approprier pour mieux nous trouver, ou nous retrouver. Pourvue que le maître soit lui-même en phase avec ce qu’il enseigne. Ce qui est bien différent d’une “identification”, dès lors qu’il montre une direction à suivre, en incarnant un modèle de comportement humaniste favorisant le fait de prolonger la valeur de son enseignement. Sans s’identifier à lui, mais en devenant vraiment soi,parce que c’est harmonieux et équilibré en nous. Nous sortons des systèmes projectifs infantiles, en effet.

    S’il est au fond “une identification” fondamentale et naturelle, c’est celle de l’humanité à laquelle nous appartenons. Elle est en nous, autour de nous, dynamique, en mouvement. Nous pouvons trouver en chaque rencontre l’opportunité d’un approfondissement du sens de la vie… Nous sortons de l’analyse strictement psychologique, vers quelque chose de plus large, vivant, humain et spirituel à la fois, en tout les cas initiatique.

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