204 – L’ÂME DES PEUPLES

 

« L’Angleterre est une île, et je devrais m’arrêter là car vous en savez maintenant autant que moi ». La légende veut que c’est par cette phrase qu’André Siegfried commençait son cours sur les Iles Britanniques à la Sorbonne après la guerre…

André Siegfried est surtout l’auteur d’un livre superbe intitulé « L’Âme des Peuples » que tous les étudiants Européens devraient lire à l’heure où l’Europe cherche à se construire. Pour se comprendre et pour s’entendre, il faut se connaître. Quand on se connaît, on commence à se respecter et à s’apprécier. Chaque peuple est différent et ces différences font la richesse et la diversité. Il est vrai que chaque nation possède une culture spécifique, une façon de penser et des réflexes qui lui sont propres. Les voyages permettent de « sentir » l’énergie d’un pays, cette somme de petits riens, d’us et coutumes, de subtilités protocolaires, de croyances ou de modes qui constituent son âme. Il en est de même avec chaque être que l’on rencontre, chaque famille que l’on côtoie ou chaque groupe humain particulier. Il émane de toutes ces entités une « énergie » particulière et spécifique qui peut constituer la base de l’incompréhension.

Ces différences réelles sont souvent exprimées de façon caricaturale et peuvent devenir des idées toutes faites, des a priori et des sources de rejets. Le problème de l’Europe, aujourd’hui, est de parvenir à amalgamer ces différences sans qu’elles ne deviennent des divergences ou des rivalités. Il paraît évident à tout observateur que l’Europe a besoin de parler et de décider d’une seule voie. Le spectacle qu’elle vient de nous donner de sa cacophonie est affligeant et il n’est pas besoin d’être un grand expert pour constater que l’Europe se trouve face à un choix historique que je résumerai par : « Être ou ne pas Être ». L’Europe doit choisir si elle veut exister ou bien si elle préfère sombrer dans la médiocrité et l’oubli. Si l’Europe veut être à la hauteur de son destin, elle a besoin de se bâtir sur des valeurs communes, pour être bref, elle a besoin d’une âme. Or, l’âme de l’Europe c’est à la fois son passé, ses différences et son avenir commun.

Le "melting pot"

D’autres nations ont eu ce choix de constituer un peuple et certaines y ont réussi avec succès, mais jamais sans difficulté. Bien entendu les Etats Unis d’Amérique viennent tout de suite à l’esprit, bâtis sur le mythe du creuset dans lequel s’est fait le mélange des peuples différents qui les composent. Ils ont aussi eu leurs guerres, leurs diversités, leurs origines diverses. De cette histoire, ils tirent leur fierté et de cette fierté découle leur succès. Le Canada voisin eut aussi une histoire mouvementée et rendue plus difficile par la volonté de domination d’un peuple sur un autre. Au fil des générations, les rancoeurs et les frustrations se sont accumulées et ont généré des incompréhensions que certains pensaient insurmontables. Lorsque le Québec a acquis sa fierté et prit conscience de la force de sa spécificité, il voulut sa revanche et souhaita quitter la Fédération dans laquelle il était entré contre son gré. Mais on peut dire que le peuple Québécois a acquis sa véritable maturité lorsqu’il a renoncé à la sécession pour vivre dans l’autonomie à l’intérieur d’un cadre plus vaste. En étant canadiens les Québécois n’ont pas perdu leur âme, mais ils ont accepté d’appartenir aussi à une famille d’âme plus vaste dont ils sont fiers avec raison.

 La Confédération Helvétique constitue un autre exemple de mélange de nations qui ont choisi de vivre sous le même toit tout en conservant leur culture propre, c’est-à-dire leur langue, leur religion, et leurs habitudes. Ces 26 Etats ont une certaine autonomie pour la vie de tous les jours, mais ils sont représentés par un gouvernement central  qui régit la monnaie, l’armée, la politique extérieure et édicte les grandes lois nécessaires pour vivre ensemble. Il n’est pas exagéré de dire que la Suisse constitue à elle toute seule comme une Europe miniature avec son extraordinaire diversité. Ceci ne va pas sans une certaine rivalité, mais l’immense fierté d’être Suisse permet de dépasser tous les clivages et d’éviter l’animosité.

Lorsque l’on séjourne dans ces trois pays, ce qui frappe le plus, c’est la fierté de ces trois peuples d’appartenir à un ensemble, sous un même drapeau. Dans ces trois pays, le symbole du drapeau est très présent et très respecté ; il permet de transcender les différences, les divergences et aussi les disparités. Ce qui manque aux peuples de l’Europe, c’est la fierté d’être Européens, car il manque un projet mobilisateur qui dépasse les clivages culturels. Trop de nations font partie de l’Europe à contrecœur, comme l’Angleterre qui demeure une île comme le souligne André Siegfried et qui a vocation à le rester…

Mais il est possible que la solidarité, dont les Européens sont obligés aujourd’hui de faire preuve, devienne un ciment qui les rapproche et les soude. Ils pourront ainsi porter plus haut leur idéal dont ils seront fiers. L’Europe peut sortir grandie de cette épreuve, elle peut se forger une âme et en être fière.

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2 commentaires

  1. Paradoxalement, on appelle “Europe” ce qui n’est qu’une communauté économique – ayant une monnaie commune. Mais les peuples ont une âme. Si l’on avait voulu vraiment construire une Europe humaine, au lieu d’une monnaie unique, on aurait travaillé à définir une langue unique et on se serait attaché au partage des culture et à l’harmonisation des différences. Si l’Euro s’écroule, alors, l’Europe aussi – c’est une ineptie ! On ne pourra construire une Europe viable que par le partage des cultures.

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