343 – L’ENFANCE VOLEE …

Il était une fois une petite fille, toute belle, toute fine. Elle s’appelait «Désirée» … Oui, Désirée était le nom que ses parents lui avaient donné, soulagés d’avoir enfin pu donner le jour à un enfant. Il faut dire qu’il l’attendait depuis quelques années et qu’ils n’étaient plus si jeunes !

Désirée arriva donc sous les meilleures auspices, attendue qu’elle était aussi bien par ses parents que ses grand-parents. Une nouvelle âme était venue expérimenter la vie sur terre.

Désirée fût un bébé fort sage et souriant. Elle fît très vite toutes ses nuits et le lait de sa maman lui réussissait bien. Elle prit très vite de belles rondeurs et de douces couleurs.

Quelques mois passèrent, remplis des surprises qu’apportent un petit bébé : premier sourire, se tenir assise, première dent, premier mouvement de colère, premier nounours, première peur, première joie …

Désirée se développait harmonieusement … et ses parents, comblés, commençaient à faire des plans sur la comète.

 – «Elle est tellement belle, disait sa grand-maman, vous en ferez une mannequin»

 -“Quelle horreur, répondait la maman, non, Désirée sera diplomate, comme mon père, elle est tellement souriante !»

 – «Bon, c’est très bien tout cela, intervenait le papa, mais il faudra alors qu’elle parle plusieurs langues ! Nous la mettrons à l’école internationale …»

 – «Et si cette petite avait hérité du talent de mon père ? disait le grand-papa, elle pourrait devenir une grande pianiste ! Regardez ses mains, comme elles sont longues : de vraies mains de pianistes. Il faudra l’inscrire à l’école de musique : vous verrez, elle vous étonnera».

Et ainsi parlaient les adultes, penchés sur le berceau de ce petit bébé.

Un an, deux ans, trois ans passèrent. Désirée partit un beau matin, avec son petit sac à dos, pour l’école. Allez, ma petite, tu n’es plus un bébé mais une enfant : tu dois commencer ta vie de grande.

Du lundi au vendredi, Désirée se levait tôt pour rejoindre son école, sa classe et ses nouveaux petits copains. Parfois il jouaient ensemble, parfois ils pleuraient tous seuls dans un coin, parfois ils se pinçaient et se mordaient. Bref, Désirée se retrouvait en société, parmi ses frères et soeurs humains.

 – «Comment se comporte Désirée, Madame la Maîtresse ? Est-elle sage ? Eveillée ?» demandait la maman.

 – “Désirée est très bien intégrée, elle comprend rapidement, elle aime jouer et partager. C’est une enfant charmante qui ne pose aucun problème. Admirez ses dessins ! Ils pourraient très bien être faits par une enfant de la classe supérieure …»

La maman rentre chez elle, le sourire aux lèvres : ma fille est douée, même peut-être surdouée, non ? La Maîtresse a bien dit que ses dessins pouvaient être faits par une enfant plus âgée.

Après avoir couchée Désirée, les deux parents se congratulent : quelle petite merveille avons-nous mis au monde, n’est-ce pas ? Mais il ne faudrait surtout pas «gâcher» la marchandise : il ne suffit pas d’avoir du talent, il faut aussi le travailler. Désirée a presque quatre ans, il est temps de cultiver ses dons. Nous allons donc l’inscrire à un cours de musique pour tous petits, puis à un cours de langue pour enfants : n’oublions pas qu’il est important de parler plusieurs langues !

Et voilà notre petite Désirée «bookée» du soir au matin avec un agenda d’adulte : l’école, les cours de musique, les cours de langue, les sorties avec papa-maman, les visites à la famille, les anniversaires chez les petits copains, etc … Au début de ce rythme soutenu, la petite fille était fourbue : le soir, elle piquait du nez dans son assiette, ne rêvant que de retrouver son nounours bien au chaud dans son lit.

Puis elle s’habitua. Elle grandit ainsi, les yeux sur la montre, courant d’une classe à une autre, d’une activité à un sport. Ses heures, ses minutes même, étaient comptées ! Pas le temps pour rêvasser … pour s’ennuyer … pour souffler.

Les parents, très fiers, la voyait grandir en taille et en talent. A 6 ans elle savait déjà jouer quelques airs au piano !

 – «Bon sang ne saurait mentir …» se réjouissait le grand-papa.

Elle était toujours aussi belle et, à force de l’entendre, elle se prit même au jeu.

– «Maman, je voudrais un tee-shirt comme le tien !»

– «Maman, je voudrais du vernis sur mes ongles, comme toi»

– «Maman, je peux attacher mes cheveux comme les tiens ?»

Et, à chaque demande la Maman, si fière que sa «petite» Désirée soit si «précoce», disait oui. Désirée, au fil des mois, ressemblait de plus en plus à sa maman. Elle prenait des manières de «dame», admirait ses petits ongles rouges ou bleus selon son humeur, et prenait un air important et stressé.

Il faut dire qu’elle courait tout le temps la petite Désirée ! Du soir au matin, son planning était complet. Et il fallait aussi réussir des performances ! A l’école de musique, par exemple, il y avait un examen deux fois par an pour sélectionner les meilleures : Désirée se devait d’être parmi celles-ci, rien que pour voir les regards admirateurs de ses parents …

Elle eut 7 ans, 8 ans, 9 ans, 10 ans et toujours le rythme s’intensifiait. Elle prenait maintenant des cours de piano au conservatoire et avait rajouté à son planning des cours de danse classique. Sa grand-maman l’a toujours poussée dans ce sens, disant qu’avec son physique si gracieux ces cours développeraient son élégance. Elle commençait à bien maîtriser l’anglais et ses parents l’emmenaient chaque année faire de grands voyages afin qu’elle pratique régulièrement.

Bref, Désirée avait une vie bien remplie, comme on dit.

Elle tenait bien le choc et grandissait très vite. A 10 ans, vous lui en donniez 13 ! Ses longs cheveux, ses joues creusées par une fatigue chronique, ses manières et ses vêtements d’adolescentes, ses ongles vernis : tout faisait penser qu’elle était plus âgée qu’elle ne l’était. Et ses parents en étaient fiers !

Mais voilà, Désirée n’avait QUE 10 ans … Et, un jour, elle craquât. Elle fit une sorte de «burn-out», refusant de manger, ne travaillant plus à l’école, séchant même ses cours de musique. Il fallut un peu de temps avant que ses parents ne s’inquiètent vraiment et, lorsqu’ils l’emmenèrent chez le médecin, Désirée était si fatiguée que celui-ci conseilla de l’emmener quelque part, «au vert», pour quelques semaines.

Vous imaginez ? La pauvre petite fille se retrouvait littéralement épuisée … vidée.

Elle partit donc se reposer, en compagnie de ses grand-parents, dans leur petite maison au bord de la mer. C’était en janvier … Le temps était souvent maussade, tous les enfants étaient à l’école, elle se retrouva donc toute seule avec des journées entières devant elle : sans agenda, sans cours, sans pression.

Un vertige la saisit : elle avait dix ans mais n’avait JAMAIS appris à rêver, ni à jouer toute seule, ni à regarder la nature autour d’elle, ni à lire tranquillement au coin du feu, ni à dessiner simplement pour le plaisir, ni à chanter avec les oiseaux, ni à cueillir des fleurs, ni à ramasser les coquillages sur la plage, ni à faire des gâteaux avec sa grand-maman, ni … RIEN. Désirée ne savait rien faire toute seule !!! Elle n’avait appris qu’à apprendre, suivre des cours, obéir aux ordres de ses professeurs, à courir, à stresser …

Ses grand-parents, désolés, la voyait paniquer.

– «Que fait-on aujourd’hui ?» demandait-elle chaque matin

Et les pauvres grand-parents, après avoir écumé toutes les activités possibles un mois de janvier au bord de la mer, finirent par prendre conscience que Désirée n’avait pas besoin que de repos mais aussi d’une «réadaptation». Elle devait apprendre à devenir une enfant !

Et de quoi a besoin une enfant ? D’être cocoonée, bien sûr, protégée de certaines laideurs de la vie, d’avoir du temps pur apprendre à observer, à écouter, à rêver, à laisser le désir naître. Un enfant sur-booké ne peut avoir de désir, il n’a même pas le temps de rêver son futur ! Il ne peut qu’obéir aux injonctions de ses professeurs. Il lui faut travailler sans relâche pour obtenir des résultats : comme un adulte !

 Aussi, petit à petit, les grand-parents de Désirée concoctèrent un programme pour lui apprendre à redevenir une petite fille : ils lui expliquèrent le rêve, le temps, le plaisir de ne rien faire. Ils lui offrirent un petit chat pour jouer avec elle et accompagner son enfance.

Quand elle rentra chez elle, souriante et en forme, ses parents l’accueillirent avec émotion : quelle jolie petite fille nous avons, comme elle nous a manqué ! Et la vie reprit son cours sauf que Désirée avait appris -et aimé- vivre autrement. Elle retourna donc à l’école, bien sûr, mais abandonna la musique. Elle préférait la danse et, surtout, elle demanda à ses parents si elle pouvait retourner au bord de la mer, dans la petite maison, pour les vacances prochaines.

 – «Mais nous avions prévu de t’emmener en Australie ! Pour que tu découvres un nouvel accent … Pour que tu pratiques ton anglais».

 – «Je préfèrerais aller retrouver la plage et mon petit chat. Il me manque ! Vous voulez bien ? J’irais peut-être en Australie quand je serais grande !».

Bravo, Désirée, tu es une enfant plus sage que bien des parents …

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Un commentaire

  1. Une actrice américaine dont j’ai oublié le nom disait avant de mourir que le seul regret dans sa vie fut de ne pas avoir perdu assez de temps.
    Vivre sa vie s’apprend jeune et ça commence jeune. C’est une belle histoire que celle de Désirée et chacun de nous, avec nos agendas tout noircis, devrions tirer des leçons de cette histoire.

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