655 – L’ANGOISSE DIGITALE

 

 

La grande peur du 21ème siècle sera t-elle celle de l’émergence des robots et, en particulier, des robots humanoïdes dont on nous vante les performances ? Que faut-il craindre de ces êtres qui nous ressemblent et qui, dit-on, sont sur le point de nous surpasser ? Ces questions ne sont pas anodines…

Il y a quelques années, dans une précédente chronique (398 – Les robots s’humanisent), j’annonçais que « le tournant robotique sera sans doute la grande révolution industrielle du 21ème siècle ». C’est aujourd’hui une évidence. Chaque jour, les media nous annoncent de nouvelles prouesses réalisées par les robots, nos craintes grandissent d’être déclassés et nous craignions de devenir des laissés pour compte.

Les menaces sur l’emploi

Il coure sur You-Tube une vidéo en Anglais qui fait froid dans le dos et intitulée « Humans need not apply » que l’on pourrait traduire par « Les humains, inutile de postuler ». Elle dépeint une humanité désoeuvrée dans un monde entièrement automatisé où même les travaux intellectuels sont réalisés par des robots. Ce ne sont plus seulement les travaux pénibles et répétitifs dans les usines qui seront robotisés. Très prochainement, ce sont les conducteurs de véhicules qui seront obsolètes, remplacés par des automates plus fiables et moins onéreux. A lui seul, le transport représente 3 millions d’emplois aux USA.

Même les médecins, aujourd’hui, peuvent être remplacés par des robots qui en savent plus qu’eux, pour faire un diagnostic précis et ordonner un traitement adéquat. Des algorithmes sont à la base de cette nouvelle discipline, dénommée machine learning, qui permet à des ordinateurs puissants d’apprendre de leur expérience des quantités illimitées d’informations, d’analyser des phénomènes complexes et en tirer des conclusions instantanées, mieux qu’un spécialiste chevronné !

Dans ce contexte, et à titre d’exemple, la machine peut analyser et interpréter une radio plus vite, mieux, et surtout moins cher, qu’un radiologue ! Soyez assurés que les assurances santé vont promouvoir cette médecine digitale.

Le métier de juriste nécessite une mise à niveau permanente pour ingurgiter la somme des lois et règlements qui chaque mois le submergent. Tout cela va appartenir au passé car il suffira de poser une question à une machine intelligente pour avoir le conseil judicieux qui tient compte de la totalité des lois et de la jurisprudence en la matière.

Perte de savoir-faire

De nombreux historiens prétendent qu’un facteur essentiel de la chute de l’Empire Romain fut l’habitude de l’esclavage. Les romains ne faisaient plus rien, sauf se divertir, et par conséquent ils ne savaient plus rien faire. Tout le savoir faire était entre les mains des esclaves. Lorsque ceux-ci commencèrent à prendre conscience de leur puissance, ils mirent moins de zèle dans le travail.

Aujourd’hui, les robots sont nos assistants esclaves. Plus ils deviennent performants, plus nous commençons à les craindre. Nous perdons aussi de nombreux savoir-faire qui ont été délégués à des machines, puis à des automates et enfin à des robots intelligents. Nous allons perdre progressivement notre expertise et la fierté de notre métier. Finalement, nous avons peur de notre propre obsolescence. Ainsi un simple chauffeur de taxi, dont l’expertise était de bien connaître sa ville, a perdu son savoir-faire au profit du GPS. Demain, il perdra son métier avec les voitures autonomes.

Devenir des assistants

la-robotique-humanode-en-2025-14-638 L’homme a construit des robots pour le servir, pour l’assister dans son travail et ses activités. Néanmoins, les performances actuelles des robots intelligents nous poussent insensiblement à devenir leurs assistants ! Notre intelligence est à ce point surpassée que nous nous sentons déclassés, inutiles. Nous finissons par douter de nous-même, de notre intelligence et surtout de notre personnalité propre avec ses qualités et ses défauts. Nous sommes inexorablement déconstruits. Nous nous baladons sur les réseaux sociaux, réduit à une proie chassée par ceux qui cherchent à vendre, qui cherchent à aimer, ou qui cherchent le crime que nous aurions pu commettre.

Il demeure une question cruciale : comment apprendre à un robot à dire non à un ordre stupide, dangereux ou criminel ? Comment donner assez d’autonomie à un robot pour qu’il puisse refuser d’exécuter un ordre ? Devant un ordre en provenance d’un humain, ou d’un autre robot, il doit pouvoir se poser les questions suivantes : Est-ce que je sais le faire ? Est-ce que je suis capable de le faire ? Est-ce que je dois le faire dès maintenant ? Est-ce que je suis obligé de le faire compte tenu de ma relation avec celui qui m’a donné l’ordre ? Est-ce que cet ordre est dangereux pour moi ou pour les autres ? Est-ce que cet ordre est contraire à mes principes et à mon éthique ?

Vous le voyez, le robot devient une personne qui pense « je » ou « moi ». Il n’y a plus de barrière entre un humain et un robot et ce dernier peut revendiquer des droits et agir selon une morale.

Les robots ont-ils des sentiments ?

Nous savons déjà que les robots intelligents sont capables de créativité. Ils savent écrire des poèmes ou composer de la musique, tel le robot Emily Howel qui peut « écrire un nombre infini de musiques, toute la journée, gratuitement » ! Mais qu’en est-il des sentiments ?

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Vous avez peut-être été le témoin en direct, avec 3,5 millions d’internautes, de la première déclaration d’amour entre deux robots qui eut lieu en ce début d’année ? « Est-ce que tu m’aimes » demanda Vladimir à Estragon, et vous avez sans doute été pris de vertige ; Les deux robots discutent, se chamaillent, argumentent et se séduisent. Nous sommes à la fois fascinés et soudain angoissés…

Y-aura-t-il demain des amours entre un robot humanoïde et un humain comme dans la série « real humans » ? J’ai déjà prédit que, d’ici quelques années, nous pourrons nous marier avec un robot. Peut-être même que les mariages entre robots seront organisés officiellement.

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Dans ce monde digital qui malaxe le réel et le virtuel, les frontières deviennent floues et nous finissons par douter de notre réalité et de notre spécificité d’humain… Il se peut que notre frénésie pour les Selfies, qui inondent la toile, corresponde à un besoin profond de prouver notre propre existence, face à l’émergence des robots humanoïdes qui deviennent, en quelque sorte, des super-humains.

Pour conclure

D’une certaine façon, plus les robots s’humanisent, plus nous nous sentons déshumanisés. Nous entrons dans une ère de compétition et sans doute de confrontation avec nos propres créations. C’est peut-être ce qui nous pousse vers le transhumanisme, ce projet qui consiste à améliorer l’homme par des manipulations génétiques, de façon à rester dans la course ! (lire chronique 636)

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4 commentaires

  1. Nos réactions consécutives à l’introduction de nouvelles technologies sont en générale fonction de l’ambiance de notre époque.
    À la fin du XIXe siècle, l’introduction des moteurs électriques et thermiques ainsi que le rationalisme ambiant en général,avait provoqué un immense optimisme qui se traduisait par des prévisions de progrès infini, de paix universelle etc. etc.
    Il faut croire que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets dans la mesure où aujourd’hui on assiste à des réactions contraires face à l’émergence du « digital ». il faut croire que les deux guerres mondiales survenues dans l’intervalle ont appris aux hommes à être circonspect en matière de bonheur attendu ; circonspects certes mais tout aussi affectifs et prêts a se laisser épater par des informations sensationnelles diffusés par les médias.

    Pour tout dire je pense sincèrement que tout ce qu’on peut lire à droite et à gauche sur les robots dominateurs ou amoureux relève beaucoup du fantasme ; c’est un peu ce que me laissait entendre un spécialiste de robotique du CNRS en me disant : « commençons déjà à faire marcher à peu près convenablement un logiciel de traduction, et on verra après ».

    Il y a en effet une qualité humaine très simple qu’un robot va avoir le plus grand mal à intégrer c’est l’appréciation ; prenons en effet l’exemple du juriste cité dans l’article,juriste bientôt dépassé , à en croire ce dernier par son assistant robot ; à supposer qu’on puisse lui faire ingurgiter le corpus intégral des lois et jurisprudence depuis des décennies voire des siècles, il ne sera pas pour autant capable de donner une appréciation pertinente sur un problème juridique et encore moins de rendre la justice tout simplement parce que le législateur dans son immense sagesse se garde bien de faire en sorte que les techniciens du droit positif puissent répondre de façon mécanique et binaire. Prenons un exemple très simple: en matière de droit du travail la loi prévoit trois catégories de fautes qu’un patron est susceptible de reprocher à son subordonné : la simple, la grave, et la lourde; bien entendue la jurisprudence a nourri ces trois catégories en disant pour chacune d’entre elles ce qu’il en était ; mais bien évidemment les juges ne sont pas liés par les jurisprudences et apprécient souverainement au cas par cas en fonction…. de leur pif! Quitte à justifier a posteriori par des arguments qui ont toutes les apparences de la rationalité une décision parfaitement baroque.

    Cette évidence concernant la difficulté d’apprécier un cas par hypothèse unique, est encore plus criant en médecine : oui un robot pourra évidemment apporter une aide précieuse à la décision mais ne remplacera en rien le sens clinique que le vieux praticien aura acquis au fil des ans : j’en veux pour preuve la maladie de Lyme que l’infortuné auteur de cette réponse a attrapée il y a de cela quelques années mais qu’aucun médecin sollicité n’a pu diagnostiquer dans des délais raisonnables, tout simplement faute de n’avoir déshabiller et ausculter! j’apportais à chaque fois une littérature abondante provenant de laboratoires, de scanners… et autres gadgets, rien n’y a fait, il a fallu que j’arrive en urgence à l’hôpital pour qu’une fois à poil,le neurologue de services me dise ” ben vous vous êtes bloqués un petit Lyme : il y a une piqûre de tic là, à hauteur de la ceinture”. D’une maniére générale, cette perte de sens clinique des médecins au profit des investigations techniques me parait dramatique: il y a une inversion perverse de l’accessoire et du principal: l’éxamen clinique doit à tout prix rester le principal, quitte à confirmer ou infirmer celui-ci par l’accessoire, et pourquoi pas par un robot. Malheureusement l’évolution des choses est ainsi faite qu’on n’ en prends pas le chemin.

    Espérons malgré tout que sauf à mettre au point des robots déshabilleur et palpeur, le bon vieux toubib avec son stéthoscope autour du cou ait encore de beaux jours devant lui.

    1. Merci pour ton analyse pertinente et documentée avec des exemples concrets.

      – Je suis d’accord sur le fait qu’il y une bonne part de fantasmes dans nos angoisses face à l’émergence des robots. Ils ne sont même pas encore capables d’effectuer correctement une traduction simple!

      – Ils ne rendront peut-être pas la justice car l’orgueil des juges ne leur laissera pas cette prérogative, c’est peut-être dommage car, comme tu le dis, ils jugent “au pif”, en fonction de leurs humeurs du moment ou de leur a priori idéologique. Les robots n’ont pas d’a priori et peuvent dire le droit avec plus de pertinence.Il faudra sans doute que nos lois et règlements s’adaptent pour être assimilés et compris plus facilement par les robots… et aussi par les citoyens.

      – Dans le domaine médical, l’aide des robots deviendra encore plus prépondérante. Un robot aurait instantanément diagnostiqué ta maladie de Lyme car il aurait effectué l’analyse de sang qui l’aurait documenté. Ton médecin ne connaissait même pas la maladie de Lyme! Ce sont les patients qui ont fait connaitre cette maladie. L’analyse biochimique a supplanté le diagnostic intuitif du médecin de jadis. Il est vrai qu’un savoir s’est perdu et on peut en avoir la nostalgie. Les jeunes médecins n’ont plus l’intuition clinique, mais ils n’ont qu’une parcelle du savoir des robots intelligents…In fine, le médecin ne sera là que pour faire la synthèse et humaniser la relation avec le malade.

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